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dépourvu le jour où on serait abandonné. De plus, l’intérêt extrême qu’il prenait à l’entreprise de Charles-Edouard, dont il était l’instigateur, lui faisait négliger tout autre soin. Il devenait par là même favorable à tout ce qui pouvait isoler George II en Europe et priver la dynastie de Brunswick de l’appui de l’alliance autrichienne. Mais le plus curieux serait de connaître ce que pensa Louis XV lui-même, encore à ce moment jaloux de son autorité, et n’en ayant fait la remise complète à personne. On voudrait savoir si la décision qu’il avait à prendre apparut avec toute sa gravité à l’héritier de Richelieu et de Louis XIV, et à celui qui, dix ans après, dans des circonstances et à des conditions bien moins favorables, devait sceller lui-même l’union de la France et de l’Autriche. Mais c’est sur ce point surtout que les renseignemens font défaut. Chambrier écrit bien à son maître que la haine de Louis XV pour le grand-duc semblait redoubler depuis que son vassal allait être couronné, et il ajoute que, peu de jours après l’élection de Francfort, une délibération importante ayant lieu sur les affaires d’Allemagne, le roi se montra plus éloigné que jamais de reconnaître le nouvel empereur, et se plaignit même avec vivacité que son conseil ne le soutînt que mollement dans sa résistance ; mais Chambrier ne connaissait pas la proposition de l’Autriche, et ne nous dit nullement que ce fût sur ce point, en particulier, qu’eût porté le débat dont il parle. Et, de plus, il constate, très peu de temps après, que le roi parlait aussi souvent de son collègue de Prusse avec humeur, gardant sur le cœur quelques traits moqueurs qu’il avait cru remarquer dans ses lettres et qui l’avaient piqué[1].

Quoi qu’il en soit, il paraît certain que la majorité des ministres avait si beau jeu à user de l’argument que le roi de Prusse lui avait fourni, qu’elle força la main à d’Argenson, et avec l’adhésion au moins tacite du roi, il fut résolu qu’on ouvrirait l’oreille aux offres de pourparlers qui venaient de Vienne. Ce qui dut contribuer à emporter la décision, malgré les résistances ministérielles et peut-être royales, ce fut le mouvement très vif qui se déclara dans tous les cercles où l’on parlait de politique, à Versailles et même à Paris, dès qu’y arriva l’écho du bruit déjà répandu en Allemagne de la convention de Hanovre. Avec la vivacité française, on alla même beaucoup plus loin qu’une simple réponse à faire à des offres que, d’ailleurs, on ne pouvait connaître. Sans attendre que l’initiative vînt de Vienne, l’avis général fut que la France devait la prendre elle-même, en offrant tout de suite, moyennant quelque compensation, à Marie-Thérèse la reconnaissance de son nouveau

  1. D’Arneth, t. IV, p. 128 et 437 ; — Chambrier à Frédéric, 10, 17, 27 septembre, 15 octobre 1745. — (Ministère des affaires étrangères.)