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pas à l’offre d’un armistice ! On ne manquerait pas de le présenter à l’Europe entière sous le point de vue le plus faux et le moins conforme à vos sentimens. C’est alors qu’on parlerait de l’épuisement de la France… Je suis persuadé que nous n’arriverons à une paix convenable que par la porte de la dignité et de la vigueur ; nos ennemis craindront tout si nous ne paraissons rien craindre… La cour de Vienne ne connaît pas les partis mitigés, qui sont presque toujours des symptômes de faiblesse et le présage de malheurs ; et elle vient à bout de ce qu’elle entreprend. » Je ne sais si ces avis auraient suffi pour dissuader d’Argenson d’une tentative au moins prématurée, car les bonnes raisons ont rarement la bonne fortune de dissiper les illusions ; mais toujours est-il que la pensée de suivre une négociation en tête-à-tête avec la cour de Vienne par des voies clandestines, qui déplaisaient à la franchise de sa nature, ne pouvait venir à un moment où son esprit, tout plein d’une brillante chimère, fût moins préparé à la recevoir[1].

La question soulevée par les offres de Saxe et d’Autriche était cependant trop considérable pour être résolue par un ministre, sans être soumise au roi et à ses collègues. Il serait donc très intéressant de savoir comment, à cette heure critique et en face, si on ose ainsi parler, de ce tournant imprévu qui s’offrait à notre politique, les avis furent partagés. Malheureusement, le journal quotidien de d’Argenson est interrompu pendant son ministère, et nul document authentique ne vient y suppléer. On ne peut donc faire à cet égard que des suppositions plus ou moins vraisemblables. Nul doute que la proposition autrichienne ne fut accueillie avec joie par Maurepas, toujours ennemi de l’alliance prussienne, et par le contrôleur-général, Orry, toujours favorable à une paix qui pouvait seule alléger les charges énormes auxquelles il avait à pourvoir. Un concours plus imprévu dut y être apporté par le cardinal de Tencin, naguère encore favorable à toutes les réclamations de Frédéric, mais qui, depuis quelques mois, paraissait changer de visée, et avait même (les archives de Vienne nous l’apprennent) échangé tout bas quelques paroles pacifiques avec le marquis de Stainville, le représentant que François de Lorraine gardait à Paris en qualité de grand-duc du Toscane. Sans doute l’habile prélat, qui connaissait son monde, avait pressenti que du moment où on ne donnait pas satisfaction complète à Frédéric, il n’y avait plus lieu décompter sur lui, et que, dès lors, le parti le plus prudent était de se mettre en garde, et même de prendre les devans, pour ne pas se trouver au

  1. D’Argenson à La Ville, 16 septembre ; — La Ville à d’Argenson, 23 septembre 1745. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)