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extravagance… « Atteint d’une sorte de stupidité, il se laisse ruiner, déshonorer : il va devenir esclave, quand il pourrait devenir maître ; il s’appuie sur une liaison qui le perdra, bien loin de lui servir jamais à rien, et en lui s’invétère la haine pour ce qui serait propre à le sauver et à l’élever. » — D’Argenson n’en concluait pas moins qu’il fallait soutenir la gageure jusqu’au bout, bien qu’on pût prévoir qu’il faudrait céder à cette conduite monstrueuse, et, en guise de dernière ressource, il ouvrait à Saint-Severin un crédit de 300,000 écus pour corrompre, s’il était possible, un des plénipotentiaires autrichiens[1].

Il était trop tard, la date de l’élection était fixée ; on était maintenant si sûr du résultat qu’on avait songé un instant à attendre, pour le proclamer, le 4 octobre, jour de Saint- François et fête du grand-duc ; mais, de crainte d’être surpris par quelque nouvel incident, le 12 septembre fut enfin choisi, « et ce jour-là, écrit La Noue, l’élection du grand-duc de Toscane comme roi des Romains fut proclamée, entre une heure et deux heures de l’après-midi, au bruit de trois salves d’artillerie des remparts, au son de toutes les cloches de la ville et aux acclamations d’une populace effrénée, qui ne diminua rien de ses clameurs que fort avant dans la nuit. Les ambassadeurs de Bohême jetèrent de l’argent au peuple et illuminèrent le dehors de leurs hôtels, ce qui fut imité par les ambassadeurs de Hanovre ; mais entre les ministres étrangers, M. le nonce est le seul qui se soit piqué d’illuminations[2]. » Ainsi, après cinq ans de luttes sanglantes et au lendemain d’une grande victoire, toute l’œuvre de la France était détruite ; l’ancien vassal de Louis XV montait malgré lui au trône des césars ; le vœu de Charles VI était accompli : sa fille était impératrice.

Au même moment, par une singulière coïncidence, un autre avènement avait lieu à Versailles, presque royal aussi, bien que d’une nature différente, mais qui devait avoir presque autant d’importance pour la suite des événemens du siècle. Le roi de France, après avoir célébré la Saint-Louis dans la cathédrale d’Ostende (comme Maurice lui avait promis), était rentré dans sa capitale ; bien qu’il revînt couvert de nouveaux lauriers, l’accueil qui lui fut fait, cette fois, fut assez froid. Avec l’humeur mobile des Parisiens, on ne rallume pas aisément l’enthousiasme quand on l’a laissé s’éteindre. Puis, en l’absence du véritable vainqueur, qui était resté à tête de son armée

  1. D’Argenson à Saint-Severin, 30 et 31 août ; — à Vauréal, ambassadeur en Espagne, 7 septembre ; — à Chavigny, 11 septembre 1745. (Correspondances d’Allemagne, de Saxe et d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. La Noue a d’Argenson, 13 septembre 1745. (Correspondance d’Allemagne. — Ministère des affaires étrangères.)