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de Pologne, cet étrange prétendant, qui se refusait à l’être et qui, de jour en jour, plus engagé et plus déférant envers l’Autriche, se trouvait ainsi non-seulement l’allié, mais presque le serviteur de celui auquel on voulait le donner pour rival. — « Le roi de Pologne, écrivait-il encore, le 2 avril, à l’un de ses agens à Francfort, a au fond le cœur des bons patriotes et des Allemands ; il a le droit et il a la raison… Le parallèle du roi de Pologne et du grand-duc forme un tel contraste que la raison et le sentiment suffiraient pour inspirer au collège électoral des motifs de résistance à se déterminer sans réflexion pour le choix du grand-duc. » — Et à l’électeur de Trêves, pour le prendre par son côté faible, il faisait dire : — « Il faut insister sur l’article de la religion ; le roi de Pologne est le plus droit roi qui ait jamais porté couronne ou dit bréviaire ; sa famille l’est pour le moins autant que lui. » — Il ne renonçait donc pas à sa chimère favorite ; mais, ne pouvant se dissimuler que le vent ne soufflait pas en faveur d’une candidature qui persistait à rester dans l’ombre, il bornait ses vœux à éloigner toute résolution définitive, afin de laisser le temps aux événemens d’agir, à Auguste de se déclarer et, comme il le disait et l’espérait toujours, à la raison de se faire entendre. Il se flattait d’avoir obtenu, pour ce système de temporisation, l’appui d’Auguste lui-même et le concours de son représentant à la diète. Parfois même, avec la mobilité d’imagination qui lui était propre et ce goût de nouveautés originales qui était le fond même de son caractère, il lui arrivait de dire : — « Mais pourquoi l’empire ne se passerait-il pas de chef ? Une association libre comme celle des cantons suisses et des Provinces-Unies assure aussi fortement la sécurité de l’innocence et ne serait pas su jette aux mêmes inconvéniens que l’assujettissement forcé à l’autorité impériale. Les princes ecclésiastiques pourraient, en toute tranquillité, être de bons archevêques et des souverains heureux. Il en serait de même des autres princes, et tous se trouveraient exempts de rechercher, en s’abaissant lâchement devant l’autorité impériale, la faveur et quelques grâces de l’empereur régnant[1]. »

Mais tandis que le cabinet français ne cherchait plus qu’à gagner du temps, d’autres, devinant sa pensée et allant plus droit en besogne, ne songeaient, au contraire, qu’à se hâter pour en finir. Dès

  1. D’Argenson à Saint-Séverin, ministre à Francfort. 2, 17 août ; — à Renaud, résidant à Trèves, 22 août 1745 ; — Vaulgrenant à d’Argenson, 22 juillet 1745.— Un mémoire, joint à cette dernière lettre, fait voir que le comte de Brühl s’était à peu près engagé à faire, à Francfort, tous les efforts possibles pour retarder l’élection, ce qui n’est pas surprenant, Auguste III ayant un certain intérêt à prolonger une situation qui le faisait caresser et ménager par tous les partis. (Correspondances de Francfort, de Trêves et de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.)