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particulier dont on pouvait remarquer l’absence : c’était le plus fort, le plus populaire, celui qu’on pouvait tirer de la qualité personnelle du grand-duc, étranger à l’empire par sa naissance, et n’y possédant qu’une puissance d’emprunt, dont il pouvait être privé d’un jour à l’autre, s’il avait la mauvaise chance de survivre à son épouse. De tous les reproches faits à la candidature autrichienne, il n’y en avait pas qui fût de nature à faire une plus forte impression sur l’opinion et sur la conscience des Allemands ; on devait donc s’étonner de voir Frédéric négliger un si bon motif d’opposition. Mais négliger n’était pas le mot, car c’était à dessein (comme Frédéric le fit plus tard remarquer lui-même) qu’il avait évité d’y faire allusion. Il voulait bien, dit-il, protester contre la forme de l’élection, mais non contre la personne de l’élu, par la raison qu’un vice de forme peut toujours être couvert après coup, tandis qu’une incapacité personnelle est ineffaçable, et le seul fait de la faire valoir pouvait constituer une injure impardonnable. Ainsi, en se retirant du collège électoral, il se gardait pour ainsi dire d’en fermer la porte sur lui, afin de rester libre d’y rentrer quand il lui conviendrait. A plus forte raison, et avec plus de soin encore, il évitait de prononcer aucun nom propre et interdisait à ses agens d’entrer en conversation sur un choix quelconque à opposer à celui qu’on allait faire ; et à ceux qui murmuraient encore autour de lui que, malgré les incertitudes et le langage équivoque du roi de Pologne, on pouvait peut-être, à la dernière heure, voir apparaître par surprise sa candidature improvisée, il se bornait à répondre en haussant les épaules : « Avez-vous jamais vu faire un empereur incognito[1] ? »

Tout autre, bien moins digne et bien plus compromettante pour l’avenir, fut la conduite dictée aux agens français. Mais précisément, parce que d’Argenson se sentait accusé d’avoir abandonné l’élection aux ennemis de la France, en renonçant jusqu’à l’ombre et à la possibilité d’une action matérielle, il se croyait obligé et presque piqué d’honneur de la faire réussir à son gré par la voie de la persuasion. Aussi, dans les dernières semaines qui précédèrent l’ouverture de la diète, tous les envoyés français, résidant auprès des petites cours dont le suffrage pouvait paraître encore incertain, reçurent-ils l’ordre d’assiéger les princes et leurs ministres de représentations éloquentes sur la servitude où ils allaient se réduire en rétablissant la tyrannie de la maison d’Autriche et en mettant de nouveau aux fers la liberté germanique. Par malheur, le moindre mouvement en avant d’un bataillon de l’armée de Conti aurait produit plus d’effet que toutes les prédications du monde, et le crédit

  1. Valori à d’Argenson, 3 octobre 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)