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des meetings, on ne réduira pas l’Irlande au silence, et la question risque d’être encore, dans six mois, ce qu’elle est aujourd’hui, si elle n’est pas aggravée.

La dernière session politique de l’Espagne ne s’est point passée et ne s’est pas surtout terminée sans laisser entrevoir une situation singulièrement laborieuse et embarrassée. La clôture un peu précipitée des chambres a eu, il est vrai, l’avantage de suspendre provisoirement tous les conflits intérieurs, de jeter un voile sur les difficultés, en sauvant peut-être le ministère de M. Sagasta de quelque mésaventure.

Le monde officiel et parlementaire s’est dispersé avec l’été, et depuis quelques semaines le gouvernement est moins à Madrid que dans les provinces du nord de la Péninsule, où la reine régente est allée en villégiature avec le jeune roi, avec la cour. La souveraine est naturellement aussi accompagnée de quelques ministres, du président du conseil lui-même ; et, à l’exemple de la cour, du gouvernement, bon nombre de personnages de la politique ou du haut monde espagnol se sont donné rendez-vous sur cette côte de Saint-Sébastien, dans le voisinage de la France. C’est pour le moment une station de plaisir et de repos sur ces rivages cantabriques d’un pittoresque si original. La reine Christine, régente d’Espagne pour le jeune prince destiné à régner sous le nom d’Alphonse XIII, si le destin ne lui est pas contraire, recueille aujourd’hui les fruits d’une sagesse aussi avisée que loyale. Elle a su, dans un veuvage prématuré et porté avec une dignité simple, désarmer les préjugés que sa qualité d’étrangère pouvait éveiller, apaiser les susceptibilités ou les antipathies par sa gracieuse droiture. Elle a eu surtout l’art de gagner le respect des partis en leur laissant toute liberté, en restant dans son rôle de souveraine impartiale et bienveillante pour tous, sans engager la couronne dans leurs querelles et leurs rivalités. Aussi, dans ses voyages comme à Madrid, est-elle entourée d’une déférence qui est comme le signe visible d’une honnête popularité, et même dans ce pays basque qu’elle visite aujourd’hui, où le carlisme est encore si vivace, elle reçoit les hommages des plus vieux partisans du prétendant, tels que le marquis de Valdespina. Le séjour paisible au milieu de populations jalouses de leurs privilèges est sans aucun doute la marque la plus sensible d’un certain apaisement dont profite le ministère lui-même. Sous cette apparence de calme et de bon accueil, cependant, les difficultés intimes ne laissent pas de subsister ; et si le cabinet de M. Sagasta a pu sortir à peu près intact des dernières luttes de la session, s’il s’est sauvé pour la saison, il ne reste pas moins dans une situation assez critique, dont le président du conseil est probablement le premier à Sentir les dangers. M. Sagasta, dans ses loisirs de Saint-Sébastien, a eu, depuis quelques jours, tout le temps de réfléchir sur les embarras qu’il a déjà éprouvés et sur ceux qui l’attendent encore.