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liste du répertoire en disant à la reine : « Voilà le cas que je fais de ces choses-là ! » Et d’abord ce n’étaient pas de pauvres diables que MM. les sociétaires : leur « part » s’élevait le plus souvent à une assez grosse somme ; les tributs de la province, de ses grandes villes au moins, qu’ils visitaient plus facilement que l’étranger, y ajoutaient un revenu considérable ; enfin les représentations données dans le monde, pour lesquelles le service de la Comédie était souvent négligé, fournissaient encore un précieux appoint. Tel de ces grands de la scène, Lekain, approchant de sa retraite, n’avait pas la peine de paraître en public plus de huit ou dix fois par an ; — au lieu d’une douzaine de pièces nouvelles, d’ailleurs, on n’en donnait plus que trois ou quatre ; — et l’on écoutait Lekain, lorsqu’il se plaignait que sa part s’élevât seulement à 10 ou 12,000 livres. Il est vrai qu’un chevalier de Saint-Louis, entendant la plainte, ne manque pas de s’écrier : « Comment, morbleu ! un vil histrion n’est pas content de 12,000 livres, et moi, qui suis au service du roi, qui dors sur un canon et qui prodigue mon sang pour la patrie, je sois trop heureux d’obtenir 1,000 livres de pension ! » Ce fut même, pour Lekain, l’occasion d’une jolie réponse : « Eh ! comptez-vous pour rien, monsieur, la liberté de me parler ainsi ? »

Mais lui-même comptait-il pour rien d’autres libertés ? Celle-ci, par exemple, une des plus nobles, celle de malmener les auteurs ? M. Maugras paraît croire que Voltaire, étant « le premier auteur dramatique de l’époque, » se serait trouvé, même s’il n’eût pas été philosophe, le défenseur naturel des comédiens. Mais de l’inventeur à l’interprète, et réciproquement, tout sujet de reconnaissance peut presque aussi bien être un sujet de rancune ; or, au XVIIIe siècle, il paraît que ce dernier cas fut fréquent. « Si vous composez pour le théâtre, écrit l’ardent conseiller de Mlle Clairon, vous commencez par comparaitre devant l’aéropage de vingt comédiens… Ce malheureux avilissement où ils sont les irrite, ils trouvent en vous un client, et ils vous prodiguent tout le mépris dont ils sont couverts. » Notez qu’alors tout « le tripot comique, » — « la cour du roi Pétaud, » comme disait Clairon, — était appelé à juger des pièces ; l’institution du comité de lecture n’existait que dans un projet de la tragédienne, plus sage, ce jour-là, que lorsqu’elle consultait Épictète : « Je voudrais qu’on fit un conseil de dix ou douze comédiens, dont le goût, le savoir, l’expérience seraient reconnus… Ce serait là qu’on irait lire. » On ne refusait pourtant pas Irène ; mais « le fidèle Lekain » refusait son rôle. Et Voltaire n’avait pas attendu jusque-là pour faire cette confidence à M. d’Argental : « A l’égard des comédiens de votre ville de Paris, je puis dire d’eux ce que saint Paul disait des Crétois de son temps : Ce sont de méchantes bêtes… Je puis ajouter encore que ce sont des ingrats… » Aux répétitions de Zaïre, il avait prétendu modifier le rôle de