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pontificale se plaisait aux festins, aux comédies ; l’esprit du monde soufflait sur la cité, même sur la maison de Dieu. Contre cette mondanité la musique protesta seule, et fut l’asile du sentiment religieux.

Elle en fut la perte, affirment au contraire des critiques puritains, et M. Félix Clément, dans son Histoire de la musique religieuse, accuse Palestrina d’avoir, en cherchant l’art pour l’art, détruit la piété dans le cœur des fidèles. Autant vaudrait traiter Giotto de mécréant et de libertin. Il ne faut pas, même en art, confondre les conventions avec les convenances, et pour que la musique ne scandalise pas, il n’est point nécessaire qu’elle endorme. Mendelssohn le savait bien, et c’est lui, le compositeur d’Élie et de Paulus, peu suspect d’impiété, même en musique, c’est lui qui réclamait pour les Grâces l’accès de la maison de Dieu.

Non, Palestrina ne fut pas un musicien de salon, et les plus saintes oreilles peuvent l’écouter. Par malheur l’occasion est rare, depuis surtout que les voûtes sixtines sont muettes. Pour le public ordinaire, même pour nombre de musiciens, Palestrina n’est plus qu’un dieu caché, et ses fidèles en sont réduits à l’adorer de loin. Il faut, pour qu’il vous soit révélé, traverser par hasard une sérieuse ville d’Allemagne, entrer un dimanche de Pentecôte dans le vieux dôme d’Aix-la-Chapelle. On commence la messe, et pour peu que vous regardiez autour de vous, le sacristain vous conduit dans l’orgue. Une trentaine d’enfans y entourent un vieux prêtre à lunettes, attentifs comme les petites Vénitiennes, les camarades de Consuelo, sous le bâton de Porpora. Votre guide vous demande négligemment, d’un ton à peine dubitatif, si vous connaissez « la sixième de Palestrina, » et la voilà aussitôt qui commence, cette fameuse sixième messe, que vous ne connaissiez pas. Alors, fussiez-vous incrédule, si l’émotion religieuse ne descend pas en vous, il vous manque, avec la foi, jusqu’au sentiment esthétique des choses divines. Malgré les anathèmes de M. Clément, si Dieu n’est pas dans cette musique-là, il est absent de toute musique, et de l’art tout entier, des fresques de fra Angelico et des cathédrales gothiques. Nous l’avons entendue, la messe de Palestrina dans l’église allemande, et nous ne l’oublierons pas. Dédaigneuses de tout secours instrumental, les voix montaient, solitaires et libres, mais si serrées, si unies, que les pierres mêmes semblaient chanter : Lapides clamabant. On eût dit que toute la vieille église priait par la bouche de ses petits enfans. Les notes cheminaient gravement, se superposaient les unes aux autres, ourdissant la trame magnifique des harmonies. Ce n’était pas un chant, une mélodie au sens habituel, moins encore au sens italien du mot, mais des séries, des