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point. Elle a, au cours de son exposition, des réflexions très fines et justes sur le caractère des Français de son temps. Leur légèreté, leur suffisance, leur conviction que tout est simple et très facile, sont très souvent (et non pas seulement dans la Révolution, déjà dans Corinne et dans l’Allemagne) prises sur le vif, relevées avec sûreté autant qu’avec malice. Je dirai même qu’elle insiste un peu trop peut-être sur cette affaire. Elle y revient comme à une rancune. Que ces Français sont frivoles ! Elle semble se souvenir sans cesse que M. Necker a dû céder un jour le ministère à M. de Calonne. Encore est-il qu’elle a raison, raison surtout pour deux fractions du peuple français qui ont eu, d’ailleurs, une très grande influence sur la révolution, la bourgeoisie, qui l’a pressée par ses impatiences, et la noblesse, qui par ses résistances l’a précipitée. Elle voit aussi très bien que la révolution, encore que suscitée par d’autres mobiles, a été, pour grande part, l’insurrection des vanités. Ce qui irritait, c’était moins le despotisme que l’inégalité, et moins l’inégalité des droits que l’inégalité des distinctions, et moins les abus que les privilèges. Ce qu’on voulait, c’était moins conquérir la liberté qu’abolir la roture. Et cette impatience n’était point seulement le fait de la bourgeoisie. Le peuple l’éprouvait comme elle, et, comme il éprouve toutes choses, avec violence : « Les flambeaux des Furies se sont allumés dans un pays où tout était amour-propre ; et l’amour-propre irrité, chez le peuple, ne ressemble point à nos nuances fugitives ; c’est le besoin de donner la mort. »

Ces vues sont justes ; elles n’expliquent peut-être pas tout. Ce que Mme de Staël n’a pas écrit, c’est un livre intitulé De la France, aussi médité et aussi curieux d’études morales que celui de l’Allemagne. On y eût vu sans doute, sinon expliqué, du moins étudié dans tout son détail, cet affaiblissement du sentiment religieux en France depuis 1700, qui est, sans conteste, la cause principale de la révolution française, qui fait comprendre son caractère violent, son orgueil, son manque de mesure, son esprit de propagande universelle, son fanatisme, cet air de guerre de religion qu’elle a eu tout de suite, qu’elle garde encore. Il aurait fallu nous dire, je suppose, que la révolution est une convulsion d’optimisme ; que, le XVIIIe siècle ayant peu à peu remplacé la doctrine de résignation soutenue d’une espérance par la doctrine de la grandeur humaine, de la perfection réalisable ici-bas avec un peu d’effort, et moyennant quelques sacrifices, notamment par le sacrifice de ceux qui nous déplaisent, l’atmosphère morale de la nation s’était trouvée changée ; que, si croire tout progrès impossible mène à une sorte de torpeur, croire le progrès aisé et l’homme fort mène à une sorte de naïveté féroce et de fureur candide, optimisme des foules, qui.croient que, seule, la mauvaise volonté de quelques geôliers sépare