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religion et nos institutions qui l’ont fait éclore. » Il nous faut une littérature « romantique, » parce que le romantisme, c’est le retour au moyen âge, c’est-à-dire à l’origine même de la façon moderne de sentir. — Même après la révolution ? — À cause de la révolution : « Les sujets grecs sont épuisés…Vingt ans de révolutions ont donné à l’imagination d’autres besoins que ceux qu’elle éprouvait du temps de Crébillon. » On n’est pas plus dans l’esprit du Génie du christianisme, et pourtant c’est bien Mme de Staël qui parle. Elle se retrouve bien tout entière dans ces théories nouvelles. L’art antique, qu’elle n’a jamais bien aimé, sacrifié encore, à autre chose que jadis, mais sacrifié toujours ; le besoin d’action sur les hommes, la littérature populaire pour être efficace et contribuer au bonheur commun ; le grand fait de la révolution devant avoir son action sur l’art, la littérature, la pensée et l’imagination ; tout cela, c’est bien Mme de Staël telle que nous la connaissons, quoique arrivant, par un détour, à des conclusions inattendues. Ce sont ces conclusions qu’il reste à examiner.

Mme de Staël se trompait, au moins un peu, en croyant que, si la littérature française n’était point populaire, c’est qu’elle n’était point païenne. La littérature française n’est point populaire, parce qu’aucune littérature n’est populaire. On peut faire une exception, et bien légère, pour la littérature aromatique, et encore Shakspeare est bien moins applaudi du peuple anglais que telle traduction d’un de nos drames les plus misérables. Et chez nous, Corneille remue la foule avec ses Romains autant que Shakspeare en Angleterre avec ses Anglais, ni plus ni moins. Et si la théorie était juste, les auteurs chrétiens au XVIIe siècle auraient dû être populaires. Où voit-on que Bossuet et Pascal l’aient plus été que Racine ? Il faut en prendre son parti : la littérature et l’art ne sont populaires qu’à la condition d’être médiocres, depuis que le peuple est une foule et non une élite, comme à Athènes. Ce ne serait qu’une raison de plus, ne nous occupant point davantage du suffrage populaire, de renouer la tradition du moyen âge, si elle est la vraie et la plus féconde. Mais ce que Mme de Staël oublie, comme Chateaubriand, c’est que le moyen âge lui-même, au point de vue littéraire, n’est point si pénétré d’inspiration chrétienne qu’ils le croient. Il l’est fort peu. Ce XVIIe siècle, si accusé de paganisme, l’est beaucoup plus. Ni les troubadours, avec leurs chansons d’amour et de guerre, ni les trouvères avec leur Charlemagne, ou avec leurs fées et leurs enchanteurs, ou, notez-le, avec leurs souvenirs confus de l’antiquité païenne, ne sont très chrétiens dans leurs vers. Ils ne chantent point le Christ. M. de Chateaubriand l’a plus chanté qu’eux. Ce n’est qu’au théâtre, parce que le théâtre s’adresse à la foule, que l’inspiration religieuse se retrouve, et mêlée à bien d’autres choses. C’est donc un soin bien inutile d’essayer