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l’équilibre européen si laborieusement rétabli à Utrecht ; et, quant aux princes de l’empire, ils ne se souciaient guère de reprendre les armes pour constituer, sur des bases élargies, la prépotence de la maison d’Autriche. Eugène ne tarda pas à en faire l’expérience. S’étant rendu de Rastadt à Ettlingen pour inspecter ses lignes et prendre des mesures militaires, il constata la vive répugnance de ses auxiliaires à rentrer en campagne ; même les électeurs de Mayence et de Trêves, les fidèles soutiens de la politique autrichienne, le supplièrent à genoux de faire la paix[1]. Il reçut en outre d’Angleterre des nouvelles qui confirmaient le rétablissement de la reine et le succès croissant de la politique des torys ; il dut, dans son for intérieur, être profondément reconnaissant à Villars d’avoir laissée entr’ouverte la porte qu’il s’était si imprudemment obstiné à fermer.

Quant au maréchal, il n’était pas moins satisfait de son œuvre ; il ne doutait pas que le roi, lui aussi, ne saisit avec empressement la base de transaction qu’il avait obtenue. Son imperturbable optimisme avait repris le dessus, il avait retrouvé toute sa verve : retiré à Strasbourg, s’y montrant au bal, à la comédie, objet de l’empressement respectueux de tous, il eut vite oublié ses soucis. En adressant à Louis XIV l’ultimatum d’Eugène, il l’avait accompagné d’une longue dépêche dans laquelle il s’efforçait de démontrer que les termes en étaient acceptables. Il avait fait plus, il avait confié son paquet non à un courrier ordinaire, mais à son fidèle Contades, qu’il avait chargé de commenter sa dépêche, de faire comprendre au roi les difficultés de la situation, l’obstination de l’Autriche, son inclination vers la guerre, la nécessité de mettre un terme à une négociation déjà trop prolongée.

Contades était l’homme des missions délicates ; très dévoué à Villars, fort bien avec la cour, il avait plusieurs fois servi, entre l’une et l’autre, d’intermédiaire officieux et utile[2]. Sans avoir une grande portée dans l’esprit, il avait du savoir-faire, du tact et de la discrétion ; par-dessus tout, il avait le précieux don de plaire, et avait appris, disait-on, dans les scabreuses négociations de la galanterie mondaine, l’art de persuader, de vaincre et de se taire. Il arriva à Versailles le 10 février et descendit chez Torcy, qui le conduisit immédiatement chez Mme de Maintenon, où se trouvait le roi. Une partie de brelan avait été organisée avec les dames ; Louis XIV congédia les dames et pendant une heure, il écouta les explications de

  1. , Selbst die Kurfürsten von Mainz und Trier baten fast flehentlich um den Frieden. Arneth, Prinz Eugen, II, 337.
  2. Notamment en 1711, pour atténuer le mauvais effet de la perte de Bouchain. Saint-Simon.