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les devoirs que Charles VI croyait avoir envers les Catalans et les légitimes susceptibilités de Louis XIV.

La demande de Mme des Ursins aurait pu servir de matière à une honorable transaction, soit que l’empereur l’eût accueillie en échange d’un engagement que la princesse eût arraché à Philippe y en faveur des Catalans, soit que le désistement de la princesse eût été la condition du désistement de Charles VI. Le roi avait indiqué cette voie comme la plus sûre. Eugène n’était pas éloigné de la conseiller à son souverain ; mais les résistances étaient venues d’Espagne, de la princesse et du roi, qui ne s’étaient prêtés à aucun accommodement. Enfin, après quinze jours de discussions et d’efforts, Villars et Eugène crurent avoir trouvé ensemble l’expédient désiré. Louis XIV mettrait Philippe y en demeure de promettre la conservation des privilèges des Catalans ; si le roi d’Espagne refusait de prendre cet engagement, le roi de France retirerait les troupes qui assiégeaient Barcelone. Ils soumirent cet expédient à leurs gouvernemens respectifs, mais sans oser en prendre la responsabilité. Eugène écrivit à Vienne qu’il émanait de Villars ; Villars écrivit à Versailles qu’il émanait d’Eugène. En attendant la réponse de leurs souverains, les deux négociateurs convinrent d’examiner les autres points en litige et de rédiger ensemble un projet de traité qui fixerait au moins par écrit les articles sur lesquels l’accord aurait pu s’établir. Ils arrivèrent ainsi, dans la première quinzaine de janvier, à rédiger un projet dont les vingt-cinq articles, sauf deux, étaient leur œuvre commune. L’un de ces deux articles réservés était relatif à la cession de Germersheim. Villars avait tenu à l’insérer, malgré les protestations énergiques d’Eugène ; l’autre était l’article relatif aux Catalans, et auquel chacun avait donné une rédaction différente. Sur tous les autres points, l’accord s’était établi ; mais cet accord n’avait pu être obtenu que grâce aux nombreuses concessions que, sciemment ou non, Villars avait faites. La plus importante avait été de consentir à ce que le traité actuel ne réglât que les questions essentielles, laissant les questions accessoires à l’examen d’un congrès chargé d’étendre à l’empire la paix conclue entre la maison de France et celle d’Autriche. Louis XIV avait donné son consentement à cette procédure, qui hâtait la fin de l’état de guerre. Mais d’autres concessions avaient été faites par Villars à l’insu du roi, à son propre insu même, s’il est permis de parler ainsi. Très mal préparé à la discussion de ces affaires délicates, Villars en ignorait les détails et n’apercevait pas toujours les pièges cachés sous les habiles rédactions de son adversaire ; de plus, il était très mal secondé : son unique secrétaire, Hauteval, pour toute éducation diplomatique,