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que je ressentais ces mêmes peines. Je ne crois pas que ce soit un démérite auprès de vous, monsieur, étant aussi touché que vous l’êtes de la gloire du roi, que vous venez d’augmenter encore par votre dernière campagne, et que vous couronnerez par la paix.

Comme je suis persuadé que sa conclusion n’altérera pas l’amitié dont vous m’avez toujours honoré, j’ose avec la même confiance vous en demander de nouvelles marques en vous envoyant un mémoire du duc de Saint-Pierre, qui attend tout de vous, dans une affaire où il s’agit de tout pour lui. Ajoutez-y, je vous supplie, la justice que je vous demande de croire que je suis plus que personne et en vérité très parfaitement, malgré même vos injustices, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.


Le 22 décembre 1713.

Villars prit très bien la leçon ; elle était d’ailleurs accompagnée d’un message qui comblait tous ses vœux. Il courut communiquer à Eugène la bonne nouvelle, lui faire admirer l’esprit de conciliation du roi, se réjouir avec lui de l’entente prochaine. L’accueil qu’il reçut lui prouva qu’il n’était pas au bout de ses peines. Le désistement du roi faisait disparaître le principal obstacle qui du côté de la France s’opposait à la solution de la paix, mais il laissait subsister en son entier l’obstacle venant de l’Autriche, à savoir la prétention émise par Charles VI de faire garantir par Louis XIV le maintien des privilèges des Catalans. Si l’empereur avait imité la modération du roi, l’accord eût été vite fait ; mais loin de s’inspirer de son exemple, il apporta dans la défense d’un intérêt tout théorique, une obstination qui devait encore plusieurs fois mettre la paix en péril. Les discussions reprirent entre Villars et Eugène, aussi prolongées, aussi vives qu’au début, tout en restant aussi courtoises ; elles se compliquèrent encore par la malencontreuse introduction de la question de Germersheim. Contrairement à l’opinion de Torcy et à toutes les vraisemblances, Hundheïm, avant de suggérer cette idée, ne s’était pas mis d’accord avec le gouvernement impérial. Villars, lié par la parole donnée, ne pouvait en révéler l’origine. Eugène pouvait donc légitimement croire qu’il se trouvait en présence d’une exigence nouvelle de la cour de Versailles, d’une question suscitée pour reculer encore l’œuvre de la paix ; il prit très mal la proposition, à la grande stupéfaction de Villars, qui croyait la demande accordée d’avance, et se vit encore menacé d’une rupture immédiate. Eugène y mit d’autant plus de hauteur qu’il préférait de beaucoup rompre sur une question touchant aux intérêts