Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesure. Sa lettre est particulièrement vive ; on en jugera par les extraits suivans :


J’ai l’honneur de rendre compte au Roi de la conversation que je viens d’avoir avec le prince Eugène. En vérité, j’étais tenta d’écrire à Mme de Maintenon. Est-il possible que le Roi trouve son honneur engagé si l’électeur ne demeure pas avec ses Flamandes, parce qu’il ne veut jamais revoir son pays ni sa femme ? Je vous demande pardon, mais je suis en colère. Vous me dites vous-même qu’à cela près la paix est glorieuse et avantageuse. C’est moi qui ai le bonheur de la proposer après une campagne qui peut-être y a obligé nos ennemis ; je pourrais m’en flatter sur ce que le baron de Hundheïm me disait encore aujourd’hui que c’était moi qui étais cause que la paix ne se faisait pas, parce que notre cour n’aurait pas été si difficile sans nos derniers succès… Par ma foi, monsieur, je suis en colère… L’on me mande que hors vous tous les ministres sont fâchés que je sois chargé de traiter la paix ; et moi aussi, je vous assure ! et même que je ne l’ai jamais désiré ! Je vous supplie de m’en délivrer incessamment ; je crois assez que ce sera bientôt, et si la dépêche que le Roi me fait honneur de me mander devoir être plus précise confirme ses derniers ordres, vous pouvez vous attendre à une prompte séparation.


Le courrier qui emportait cette véhémente correspondance était à peine parti que l’officieux Hundheïm venait trouver mystérieuse-Villars et lui dire que son maître l’électeur palatin, voyant les conférences prêtes à se rompre et voulant faire un dernier effort en faveur de la paix, offrait au roi son bailliage de Germersheim, comme compensation de Fribourg ; il mettait seulement pour condition à cet abandon que nulle mention ne serait faite de ses offres, et que l’initiative de l’échange paraîtrait venir du roi ; il se réservait d’obtenir ultérieurement de l’empire un dédommagement pour le sacrifice qu’il faisait au bien général. Cette acquisition du bailliage de Germersheim eût été très avantageuse pour la France ; elle complétait la cession de Landau et poussait jusqu’à la Queich les frontières de l’Alsace ; de plus, le domaine utile de ce district valait plus de 50,000 écus de rente. Villars ne douta pas que la proposition n’eût été concertée entre l’électeur palatin et Eugène ; comprenant de quel poids elle pouvait peser sur les décisions du roi, il n’hésita pas à dépêcher un second courrier à Versailles, avec un paquet de lettres aussi volumineux que le premier. Il insista de nouveau, et avec plus d’assurance que la première fois, sur la nécessité de faire la paix et de ne pas sacrifier aux médiocres intérêts de l’électeur de Bavière