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de Bavière, outre le rétablissement complet, un dédommagement qu’il estimait devoir être la Sardaigne et le titre de roi, mais qui pouvait être réduit, soit aux Pays-Bas, soit tout au moins au marquisat de Burgau et au duché de Luxembourg. Il lui prescrivait, en outre, de déclarer qu’il trouvait que Fort-Louis était une compensation insuffisante pour Fribourg, qu’il n’avait pas à s’interposer entre le roi d’Espagne et les Catalans rebelles, qu’il repoussait absolument la compétence des chambres impériales dans les affaires d’Italie, n’ôterait pas la Sicile au duc de Savoie, et maintenait sa demande en faveur de la princesse des Ursins. Torcy ajoutait dans une lettre particulière : « Si vous ne persuadez pas le prince Eugène à Rastadt, monsieur, il deviendra peut-être plus docile à la campagne prochaine ; l’archiduc ferait bien de s’en éviter l’embarras et aux princes de l’empire la dépense et la ruine[1]. »

L’arrivée de ce message causa à Villars la plus amère des déceptions ; au lieu des éloges qu’il se flattait de recevoir, de la paix qu’il s’attendait à signer, c’était un désaveu, l’obligation de se préparer à la guerre, de risquer à nouveau sa réputation militaire, et pour qui ? Pour l’électeur de Bavière, pour ce prince malavisé et malheureux qu’il retrouvait toujours sur le chemin de sa fortune et de sa gloire, pour l’allié suspect de 1702, l’auxiliaire encombrant de 1703, le stratégiste maladroit qui avait fait échouer ses combinaisons militaires, lui avait valu à lui une année de disgrâce. et à la France les humiliations de Blindheim et de Ramillies ! A l’irritation de Villars s’ajoutait, en outre, le sentiment d’un cruel embarras : se fiant aux premières dépêches du roi, il avait eu l’imprudence de laisser entendre à Eugène que la paix se ferait sur la base des trois points. Comment lui annoncer maintenant les réelles intentions du roi et sa propre déconvenue ? Il ne put se décider à faire lui-même cette pénible communication, et en chargea Hundheïm, tandis que, sous prétexte d’une visite à rendre à la princesse de Bade, il courait cacher à Baden son dépit et sa colère. Il ne put pourtant, le lendemain, éviter une entrevue avec Eugène : elle fut pénible. Le prince, hautain, incisif, jouant l’indignation, déclara qu’il croyait inutile de continuer des négociations que le roi était décidé à faire échouer par des prétentions croissantes ; répéta que l’électeur de Bavière, indigne des bontés de l’empereur, n’obtiendrait pas de lui « un village, » les armées françaises fussent-elles au cœur de l’Autriche, ce qu’il saurait bien empêcher ; plaignit Villars d’avoir à défendre une pareille politique. Villars, qui au fond ne la trouvait pas meilleure, la défendait

  1. Torcy à Villars, 9 décembre 1713.