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Berlin. — « Je prends la liberté de vous l’envoyer, disait-il à son chef, le ministre Podewils ; le contenu en était d’une telle importance, que je la garderai un jour ou même une semaine, jusqu’à ce que je sache clairement si Sa Majesté veut bien tenir compte de mes très humbles représentations. »

Effectivement, à la réflexion, Frédéric s’avisa qu’avant de rompre tout à fait d’un côté, il serait mieux d’être absolument assuré de l’autre. Il imagina une autre manière plus originale et qui n’était guère moins significative de se passer sa fantaisie orgueilleuse et de donner cours à son humeur ; une seconde lettre fut substituée à la première, celle-là uniquement pleine de complimens railleurs et d’éloges ridiculement emphatiques : — « Monsieur mon frère, y était-il dit, les succès de Votre Majesté sont pour moi un sujet de triomphe. Elle efface pour la campagne de cette année tout ce que la guerre a produit de plus brillant sous le règne du roi son aïeul. La France doit sa gloire à la valeur prudente de son roi, ainsi que le militaire lui doit sa réputation. En même temps que Votre Majesté fait tant de grandes choses qui remplissent le monde d’admiration pour Elle, cette fortune qui l’accompagne fait bien enrager les gazetiers, organes de l’envie et de l’animosité de ses ennemis ; il n’y aura donc plus de ressource pour eux, et leur malignité dans sa stérilité ne pourra pas même avoir recours au mensonge, Votre Majesté ne laisse pas à l’erreur le temps de se répandre, et la mauvaise volonté de ses rivaux se change promptement en crainte et en docilité ! Ce que je puis apprendre à Votre Majesté de mon armée est bien peu de chose en comparaison de ce qui se fait en Flandre ; je m’en rapporte à ce que M. de Valori lui en marquera… Il est à déplorer que, dans un aussi beau tableau, il y ait une tache qui en défigure une partie. Je parle de la retraite du prince de Conti ; c’est lui qui couronne le grand-duc et qui met les alliés de Votre Majesté dans une situation violente et funeste. Pour à présent, je crois le mal sans remède, et l’élection du grand-duc sera certaine. »

L’ironie était en vérité trop visible, et d’Argenson lui-même, qui s’attendait à un remercîment, sentit la pointe cachée dans les dernières lignes sous de fausses douceurs. — « Cette lettre (dit une note mise de sa main sur la pièce elle-même), qu’on croyait devoir parler des subsides, ne contient qu’un compliment affecté et ridicule. Le roi n’y répondra sûrement pas. »

Mais un post-scriptum suivit la lettre, et, cette fois, l’affaire des subsides n’était pas passée sous silence. C’était un refus très sec, communiqué à Valori dans ces termes dédaigneux : — « Le subside qu’on m’offre peut être bon pour un landgrave de Darmstadt, mais