Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

règlement plus difficile ; des intérêts secondaires, des questions d’amour-propre, de clientèle, érigées en questions de principe, de conscience et d’honneur. Il y avait la situation des princes ou des peuples, qui avaient pris parti dans un camp ou dans l’autre, que leur fidélité avait compromis. Pour Louis XIV, en première ligne, il s’agissait des électeurs de Bavière et de Cologne, qui mis au ban de l’empire, chassés de leurs états, déchus de leurs dignités, réclamaient avec une insistance assez naturelle le prix de leurs services et l’exécution des promesses qu’ils avaient reçues. Louis XIV se considérait comme engagé d’honneur à obtenir, non-seulement leur rétablissement intégral, mais des avantages nouveaux en « dédommagement » des pertes subies. Il n’avait d’ailleurs pas renoncé à ses vues sur la maison de Bavière ; songeant à l’avenir, voyant Charles VI sans enfans, il voulait créer au fils aîné de Max-Emmanuel un titre à la succession impériale en le mariant avec la fille aînée de feu l’empereur Joseph. Louis XIV se croyait en outre obligé de défendre les intérêts des princes italiens dépossédés, ceux de Rakoczy et des insurgés hongrois ; enfin, il n’avait pas renoncé à la singulière prétention de la princesse des Ursins.

L’empereur, de son côté, mettait son amour-propre et son honneur à ne pas couper définitivement le lien qui unissait sa maison à l’Espagne, et à ne pas abandonner les Catalans qui combattaient encore pour sa cause. Il voulait, au moins dans les protocoles, conserver le titre de roi d’Espagne qu’il avait un jour porté jusque dans Madrid ; il voulait obtenir au moins pour ses fidèles Catalans a conservation des privilèges provinciaux qui les soustrayait à l’administration détestée des Castillans.

Aux germes de conflits que renfermaient ces prétentions contraires s’ajoutait encore l’éternel chapitre des questions personnelles.

Eugène avait certainement la confiance absolue de son souverain, et jouissait à la cour impériale d’un crédit incontesté ; il avait néanmoins à compter avec l’obstination de Charles VI, ainsi qu’avec les illusions qu’entretenaient dans son esprit les obsessions intéressées des émigrés espagnols.

Villars était moins assuré qu’Eugène de se faire écouter de la cour ; il était peu populaire à Versailles ; Torcy, sur lequel roulait tout le détail de la négociation, ne l’aimait pas ; il avait peu de confiance dans ses aptitudes diplomatiques : il s’en rapportait moins aux informations fournies par lui qu’aux inductions théoriques de son propre esprit. L’Autriche avait eu le dessous dans deux campagnes ; il était naturel qu’elle acceptât des conditions moins favorables que celles qu’elle avait refusées à Utrecht. C’était au