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Les démonstrations courtoises, affectueuses même, rentraient dans le plan d’Eugène. Il connaissait Villars : deux années d’une intimité relative, en Hongrie et à Vienne, lui avaient permis de l’étudier. Il avait pénétré à fond cette nature transparente, en avait deviné les ambitions multiples, les petitesses bourgeoises ; nul n’était mieux préparé à lui tenir tête, soit par l’étude qu’il avait faite de Eon caractère, soit par les dons de sa propre nature. Issu de la forte maison de Savoie et de la souple famille de Mazarin, préparé pour l’église, élevé à l’hôtel de Soissons, formé par les responsabilités des grands commandemens, Eugène devait à ses origines, à son éducation, les aptitudes les plus variées : il y avait en lui du soldat de grande race, du prêtre aux mœurs austères, du gentilhomme français aux manières élégantes et chevaleresques, du diplomate italien aux finesses cauteleuses et calculées. Nulle passion visible, si ce n’est la gloire de la maison d’Autriche qui l’avait accueilli, et l’abaissement de la maison de France qui l’avait repoussé ; des goûts relevés et intelligens, toutes les apparences du désintéressement, assez de ressources dans l’esprit et de puissance dans la volonté pour composer un rôle et le tenir jusqu’au bout. Villars aussi savait composer un personnage, mais à la façon des acteurs populaires, qui, ne s’adressant qu’à la foule, n’en imposent qu’à elle. C’est ainsi que, devant ses soldats affamés et découragés, il avait joué la comédie de l’abondance et de la sécurité, se faisant « blanc de ses farines et de son épée, » dissimulant ses angoisses sous des rodomontades dont il nous est défendu de sourire, car elles ont abouti aux héroïsmes de Malplaquet et aux audaces de Denain. liais autour du tapis vert, ces facultés étaient d’une médiocre ressource. A sa mise en scène gasconne, à sa prolixité débordante, Eugène opposait une froideur hautaine, une indignation contenue ; excitant sa verve, stimulant ses indiscrétions, captant sa vanité confiante par les effusions plus ou moins sincères de l’admiration et de l’amitié. Le contraste était frappant ; il éclatait jusque dans la tournure extérieure des deux personnages : l’un, petit, maigre, d’une laideur qui n’était pas sans noblesse, sachant voiler le feu de son regard et cacher une âme d’acier sous une enveloppe chétive ; l’autre, corps de fer, épaissi, sinon alourdi par les années, beauté vulgaire, physionomie gaillarde qu’éclairait le feu intérieur, l’œil à fleur de tête dissimulant mal les impressions mobiles d’une volonté intermittente et d’une vanité inquiète.

Chacun d’eux se peint tout entier dans les premières dépêches qu’il adressa à sa cour. Celles de Villars s’étendent avec une complaisance satisfaite sur les politesses sans nombre dont il est l’objet, sur la vive amitié que le prince lui témoigne, sur son sincère