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offerte par Louis XIV à Utrecht. La guerre n’avait véritablement plus d’objet ; l’obstination et l’amour-propre de l’empereur Charles VI pouvaient seuls la prolonger : leur ouvrir une porte de sortie honorable était rendre service à la France. Quoi qu’il en soit, l’impulsion, d’où qu’elle vint, était donnée, et le mouvement ne s’arrêta plus. Beckers correspondait avec le baron de Hundheïm, premier ministre de l’électeur palatin, Villars avec Torcy ; des notes s’échangeaient par ces voies détournées, les questions se précisaient, Villars prenait peu à peu le rôle de négociateur ; il le prenait même avec une ardeur que Torcy était obligé de modérer : il se voyait déjà donnant la paix à l’Europe, couronnant sa carrière militaire par un grand succès diplomatique, et cette perspective troublait son jugement. Tout en calmant les impatiences de Villars, Louis XIV donna à ses espérances une consécration officielle : il lui envoya des pleins pouvoirs, à la condition pourtant qu’il les tiendrait secrets et ne traiterait plus désormais qu’avec un agent autorisé de l’empereur. C’est le 24 août, le lendemain du jour où il apprit la capitulation de Landau, que Louis XIV signa ces pouvoirs et ces instructions ; il y fit joindre par Torcy un mémoire qui résumait les conditions auxquelles il était prêt à traiter : c’étaient les conditions offertes à Utrecht, plus Landau, qu’il entendait bien conserver ; c’est-à-dire, en substance, le retour aux frontières de Ryswick, la cession à l’Autriche des Pays-Bas, du Milanais et de Naples, le rétablissement des électeurs de Bavière et de Cologne, l’attribution de la Sardaigne à l’électeur palatin avec réversibilité à la Bavière, la reconnaissance des nouveaux titres créés en Allemagne, la confirmation des traités signés à Utrecht, la renonciation de Philippe y et de Charles VI à leurs prétendons réciproques, le rétablissement des princes italiens dépossédés, l’amnistie pour Rakoczy et ses partisans, le mariage d’une archiduchesse avec le fils aîné de Max-Emmanuel, enfin une petite souveraineté pour la princesse des Ursins. Le mémoire se terminait par l’instruction renouvelée de ne faire connaître ces propositions qu’à un agent muni des pleins pouvoirs de l’empereur, — ou, comme Louis XIV persistait à le nommer, — de l’archiduc, « puisque le roy donnait les siens au général de son armée, à l’homme de son royaume à qui Sa Majesté témoigne le plus d’estime et la confiance la plus parfaite. »

Cette mission et les termes dans lesquels elle était donnée comblaient Villars de satisfaction ; il brûlait du désir de se mettre à l’œuvre. Mais l’empereur se refusait encore à nommer un plénipotentiaire ; la chute de Landau avait exalté son courage : il croyait son honneur de souverain, sa conscience de Habsbourg engagés à ne pas laisser un Bourbon sur le trône d’Espagne, à ne pas