Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

respectifs, au hasard des métiers qu’ils ont choisis. Ceux qui sont là, que nul souci d’existence ne peut inquiéter, qui reçoivent les soins compatibles à leur santé physique et à leurs aptitudes morales, savent-ils qu’ils jouissent d’une rare bonne fortune ? La protection que le comité de patronage étend sur eux est très féconde, et l’on semble mettre de l’amour-propre à ce que le pupille fasse honneur à la maison. Matériellement la vie est large : si ces gaillards-là souffrent de la faim, j’en serais surpris, ou leur mine est menteuse. Dans la cuisine éblouissante de propreté, mais beaucoup trop petite pour préparer sans fatigue trois fois par jour le repas de quatre-vingts personnes, j’avise une cuisinière crespelée, d’un type étrange, qui coupe des carottes avec autant de conviction que Judith a coupé le cou d’Holopherne. On tient à ce que la nourriture soit abondante ; on a raison : des enfans de quatorze à dix-huit ans ne se font de bons muscles qu’avec une forte alimentation.

Le programme de la journée fera comprendre l’économie de l’institution ; je voudrais qu’il y en eut beaucoup de semblables, car elle est conçue dans un esprit très libéral : neuf fois sur dix elle est supérieure à la famille qu’elle remplace, et elle est un bienfait de premier ordre pour les enfans qu’elle adopte et conduit jusqu’à l’heure où l’apprenti devient ouvrier. En hiver, les enfans sont levés à cinq heures et demie, à cinq en été. Après avoir dit la prière en commun, ils font un premier repas composé d’une soupe ; puis chacun s’en va vers l’atelier où il fait son apprentissage. Ceux qui se rendent dans les quartiers voisins reviennent à la maison pour le repas de midi ; les autres, auxquels la distance imposerait une course trop longue, emportent leur déjeuner dans une boite de fer étamé et peuvent de la sorte éviter les cabarets, les crémeries, qui ne sont point précisément des lieux de sélection pour des adolescens souvent plus curieux qu’il ne conviendrait. La rentrée se fait aux environs de sept heures ; on arrive successivement de chez les patrons, et à sept heures et demie, il est rare que tous les pensionnaires ne soient pas réunis autour de la table du souper. Après quelques minutes de jeux ou de bavardage, on se rend aux classes, et jusqu’à dix heures on assiste à des cours spéciaux qui donnent aux élèves des notions d’ensemble dont ils pourront tirer profit plus tard, lorsqu’ils seront ouvriers, contremaîtres ou patrons. Le but que l’on vise se découvre facilement : on veut, par une éducation à la fois professionnelle et généralisée, mettre les enfans à même de franchir les degrés de la hiérarchie ouvrière et de parvenir à être chef de maison ; à cet égard, les leçons de mathématiques, de dessin, d’histoire, d’économie industrielle qu’ils reçoivent leur seront d’un précieux secours. Plusieurs de ces apprentis témoignent