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nourris et vêtus, pourraient, au retour des ateliers, profiter d’une classe du soir que l’on ouvrirait spécialement pour eux. Des écoles semblables existaient à Strasbourg, à Mulhouse, et les jeunes Israélites qui les fréquentaient y acquéraient des notions dont bénéficiait leur vie entière. On redoutait les frais considérables qu’une telle fondation entraînerait à Paris ou les terrains, les constructions, les loyers sont trop onéreux. On n’osait pas prendre une résolution ferme, et l’on se contentait de faire des projets, lorsqu’un acte d’initiative personnelle détermina la création devant laquelle le comité de bienfaisance hésitait. M. Alexandre Lazare donna 10,000 francs à la Société de patronage. Ce fut avec cette somme relativement modique que, vers la fin de 1865, on s’installa dans une maison louée rue des Guillemites. On débuta avec douze élèves ; au bout de quelques années, on en comptait quarante ; il s’en présentait d’autres intéressans, énergiques, voulant bien faire : où les placer ? Moins de dix ans après l’ouverture de l’école, elle était devenue tellement insuffisante qu’il fallut la quitter. Un don considérable lui avait été fait. M. Dreyfus-Dupont, maître de forges à Ars-sur-Moselle, abandonna l’Alsace après la conclusion du traité qui mit fin à la guerre de 1870-1871. Il offrit à la Société de patronage 100,000 francs, à la condition que l’école du travail compterait toujours parmi ses élèves dix apprentis alsaciens-lorrains. En outre, comme il fallait déménager, M. Alexandre Lazare donna quinze lits complets pour la nouvelle installation. Où aller ? rue des Rosiers, à la place de l’orphelinat qui venait d’être transporté dans l’immeuble de la rue Lamblardie.

Au numéro 4 bis de la rue des Rosiers, presque en face de la rue des Juifs, s’ouvre une porte bâtarde et discrète jusqu’à l’humilité. L’intérieur de la maison est sombre, avec quelque chose de voilé, comme un cloître. Des éclats de voix, des rires, des clameurs chassent vite cette impression : c’est fête aujourd’hui, les apprentis ne sont point à leur ateliers, ils sont au logis, dans leur préau, après le repas de midi, et leur récréation n’a rien de recueilli. A peine m’ont-ils aperçu qu’ils décampent, vont retirer leur blouse, revêtent leur tunique de sortie et s’installent dans une classe où je les retrouve silencieux, assis et occupés à lire. Cela ne me plaît guère : je ne suis pas venu pour les interroger, et j’aurais préféré les voir en libre expansion, jouer à saute-mouton ou à la balle au camp. La maison est vieillotte, cela se voit ; dans le principe, elle devait être bien incommode, car le corps de logis où sont les dortoirs et les classes n’existait pas encore. Cela n’importe guère aujourd’hui, et l’institution est appropriée ; les élèves y font leur repas et y dorment ; pendant le jour, ils sont dispersés dans leurs ateliers