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ouverte en 1857. C’est à l’aide de souscriptions recueillies et utilisées par le comité de bienfaisance que fonctionnait l’orphelinat, qui bientôt devint trop étroit. On y était campé comme à une étape de voyage. On avait tiré parti d’un local mal distribué ; l’espace manquait partout : la même salle servait de réfectoire, de classe et de parloir ; un préau resserré recevait, à l’heure des récréations, les petits garçons et les petites filles. On était encombré, et ce pêle-mêle n’était favorable ni au travail ni à la discipline. On se maintint de la sorte pendant dix-sept ans ; mais l’expérience était faite, elle était concluante : les cent cinquante enfans qui avaient traverse l’orphelinat n’avaient point trompé les espérances de leurs bienfaiteurs ; ils avaient bien tourné, comme l’on dit, et c’en était assez pour activer l’émulation d’une femme de bien. Mme Salomon de Rothschild acheta un terrain situé dans la rue de Lamblardie, qui met en communication la rue Picpus et la place Daumesnil ; elle y fit construire un orphelinat qui fut inauguré le 3 juin 1874.

Lorsque je l’ai visité, il contenait 107 enfans : 50 filles et 57 garçons. Il est très bien aménagé, distribué intelligemment en classes, en préaux, en dortoirs réservés à chaque sexe. La lingerie est amplement pourvue, la cuisine est vaste, et la salle de bains est convenablement outillée. Nulle souscription ne vient plus en aide à cette maison, qui est actuellement la propriété particulière de M. Edmond de Rothschild. C’est lui qui en a la charge. Là, il fait acte de père de famille ; les orphelins sont à lui, il les loge, les couche, les nourrit, les instruit, les soigne et les protège. Semblable à ces capitaines de la renaissance qui levaient des compagnies franches pour librement guerroyer, il a réuni une troupe d’écoliers pour combattre avec eux le bon combat de la civilisation. L’orphelinat n’est point doté d’un budget fixe ; tous les mois le bordereau des dépenses est transmis à qui de droit et acquitté à présentation. Péché d’envie : on regrette de n’en pouvoir faire autant, car je n’imagine pas qu’il puisse exister une sensation plus douce que de savoir que tant de pauvres petits vous doivent l’abri, le pain quotidien, l’instruction et la sécurité de l’existence. Dans le principe, la maison était exclusivement réservée aux orphelins de la communauté parisienne ; mais en 1871, après le traité de Francfort, elle s’est ouverte devant les enfans des israélites d’Alsace-Lorraine dont le cœur avait adopté pour patrie cette France qui, la première entre les nations, reconnaissant les droits de citoyens aux juifs, les avait arrachés à une servitude plus longue que celle d’Egypte. D’autres circonstances étrangères à notre pays ont encore élargi l’hospitalité de l’orphelinat ; il ne pouvait rester fermé devant les petits enfans expulsés de Pologne, chassés de Russie, qui, recommençant l’éternel exode