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qui les dirigent et qui devraient prêcher d’exemple. À ce point de vue, la maison de Neuilly est à signaler à l’attention des fonctionnaires qui ont charge de l’enfance. La salle de bains, où toute élève doit réglementairement passer une fois par semaine, et qui est un cadeau de Mlle  Salomon de Rothschild, ne serait déplacée nulle part ; elle se compose d’une chambre garnie de cinq baignoires, d’une pièce munie de tous les instrumens de l’hydrothérapie et d’un cabinet spécial pour les bains sulfureux. Ceux-ci ne sont que trop nécessaires à des enfans faibles, ayant déjà pâti, portant souvent le stigmate des maladies héréditaires, et parfois atteintes de scrofules. Lorsque ce mal, si fréquent dans les milieux où l’on recueille ces pauvres fleurs de la pauvreté et du vice, menace de devenir chronique, la fillette qui en est frappée est expédiée à l’établissement israélite de Berck-sur-Mer ; là elle est hospitalisée et, tout en continuant son éducation, reçoit les soins que comporte son état. Si une des pensionnaires de Neuilly tombe malade, elle est immédiatement transportée et admise d’office à cet hôpital de la rue Picpus où récemment j’ai conduit le lecteur.

Lorsque j’ai visité l’orphelinat, on y était en bonne santé, et sauf une élève dont la colonne vertébrale commence à prendre une forme défectueuse, tout le monde avait la mine florissante et ces belles joues qui, dans les poèmes d’Homère, sont l’attribut de la jeunesse. De ce que j’ai remarqué dans les classes, je ne dirai rien, car l’on y suit les programmes de l’enseignement primaire. L’âge des écolières varie entre cinq et dix-huit ans ; quelques-unes ont de la précocité ; une fillette de cinq ans et demi, d’apparence un peu lourde, malgré la vivacité de son regard, s’est approchée de moi et m’a dit, en confidence, qu’elle savait faire les soustractions. Je l’ai conduite au tableau et je lui ai proposé un problème qu’elle a lestement résolu. Je l’ai félicitée ; elle est devenue toute rose et a pris l’attitude sérieuse d’une grande personne qui sait que si de 9 on ôte 3, il reste 6. Dans les ateliers on travaille en silence, autour d’établis en bois de chêne bordés de coussinets qui font office de pelotte et servent à fixer l’étoffe. Quelques-unes de ces petites ouvrières, âgées de quinze à dix-sept ans, sont fort habiles aux broderies d’art ; j’en regarde plusieurs qui rajeunissent avec adresse les fleurs et les rinceaux en fils d’or serpentant sur une vieille draperie de velours rouge enlevé sans doute au dais d’une cathédrale italienne. J’imagine que les brocanteurs des anciennes étoffes, si recherchées aujourd’hui, s’adressent souvent aux ateliers de l’orphelinat de Neuilly, où l’on excelle aux réparations mystérieuses, aux « reprises perdues » qui trompent les yeux les plus clairvoyans. C’est un bon métier qui exige de l’attention et du goût, mais qui est bien rémunéré ; au temps où il était de mode de porter des châles, les repriseuses de