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émouvant. « Il faisait froid, elle était entrée au corps de garde pour se chauffer près du poêle ; je loi dis : « Voilà les Français. » Elle sortit très vite et s’arrêta devant eux ; Il y en avait onze, le bonnet à la main, la regardant et ne comprenant pas pourquoi elle était là. Sa-voix tremblait ; elle leur dit : « Je suis Française. — Ah ! vous êtes Française ! — Oui, je viens de France exprès pour vous voir. — Ah ! pour nous voir ! ah ! vous êtes Française ! » Et tous, tous ces hommes qui avaient traversé le fer et le feu, qui sans se plaindre supportaient leurs misères, tous éclatèrent en sanglots. Elle pleurait. Ils répétaient : « Ah ! vous êtes Française ! » Elle répondait : « Oui, je suis Française. » Je me sauvai dans le corps de garde, parce que les larmes m’étouffaient[1]. » Ceux-là furent graciés et bien d’autres. Elle alla jusqu’au prince de la couronne, jusqu’à l’empereur Guillaume ; rien ne la rebuta : elle eut l’insistance et la persistance. Plus de trois cents prisonniers français lui doivent d’être rentrés au pays et d’avoir été libérés avant le terme de leur peine. On a dit, et j’ai dit moi-même, que les israélites n’avaient qu’un sentiment incomplet de la patrie ; ô juive, pardonnez-moi !

Si une telle femme est à la tête d’une œuvre de bienfaisance, cette œuvre sera dirigée avec une bonté vigoureuse. C’est, en effet, ce que j’ai remarqué dans la « Maison israélite de refuge pour l’enfance, » dont le comité, exclusivement composé de dames patronnesses, est présidé par Mme Coralie Cahen. Je crois, sans pouvoir l’affirmer, que c’est à son initiative qu’est due cette institution. Un malheur, le plus cruel de ceux qui peuvent atteindre une femme et une mère, l’avait frappée ; elle demanda des consolations à sa compassion et à sa charité, qui ne les lui refusèrent pas. En souvenir d’une enfant arrachée à sa tendresse, elle alla secourir les malades dans les hôpitaux et porter des paroles d’encouragement aux petites détenues de Saint-Lazare. A voir ses jeunes coreligionnaires dans les salles gangrenées de la mauvaise prison, elle eut honte, elle eut pitié, et fit et bien qu’elle intéressa à leur sort des femmes riches de la communauté. Sans partager peut-être toutes les espérances qui faisaient battre son cœur, on convint qu’il était bon d’essayer quelques sauvetages, et au mois de juillet 1866, la maison de refuge fut ouverte à Romainville, au pays des lilas, où tant de pauvres filles se sont perdues, si l’on en croit les romans que publiait l’éditeur Barba vers les temps de la révolution de juillet.

La maison était bien modeste et servait d’asile, pour ne dire de prison, aux fillettes israélites que la prudence de la police et les

  1. Voir dans l’invasion de Ludovic Halévy, les épisodes intitulés Vendôme et Graudens ; la personne qui n’est-point nommée est celle dont je viens de parler.