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plus qu’une distinction de rhétorique, c’est une nuance de psychologie, si l’on considère, après le pouvoir propre, la valeur relative des mots. Car, ces jurons ou ces blasphèmes, si l’homme du peuple les profère avec cette regrettable facilité, c’est qu’ils ne sont pour lui qu’on signe ou qu’une traduction habituelle de ses émotions. Mais chez nous, ils éveillent, aussitôt qu’entendus, toute une série d’images bien autrement déplaisantes qu’eux-mêmes ; ils nous transportent avec eux dans leur milieu d’origine, qui n’est pas d’ordinaire le milieu même où on les emploie couramment ; ils associent enfin les sentimens qu’ils sont censés traduire à des sentimens souvent très éloignés de ceux du personnage que le romancier fait parler. De telle sorte que, même faisant ce qu’ils font, les paysans de M. Zola seraient encore faux pour la manière dont ils le font. D’autant qu’ils parleraient un langage plus conforme à la réalité, ils paraîtraient d’autant moins réels et moins vrais, puisque c’est eux, et non point leur incapacité de s’analyser eux-mêmes qu’il s’agit de nous montrer. Et ils ne seraient enfin tout à fait ressemblans, à leurs propres yeux comme aux nôtres, que s’ils exprimaient des sentimens ou des idées à eux dans la langue du commun et de l’honnête usage. C’est un thème que j’ose livrer aux méditations de M. Rosny, l’auteur du Bilatéral, médiocre imitation des mœurs et surtout du langage de Germinal et de l’Assommoir.

Où est cependant, en tout cela, le naturalisme ? et, ne se rencontrant pas plus dans le langage, comme l’on voit, que dans les mœurs et dans les caractères, où est la vérité ?

Car je ne pense pas que M. Zola l’ait cru mettre au moins dans ces plaisanteries où, s’exerçant pour la première fois, il est du premier coup passé maître, et qui sont sans doute, elles aussi, une étude des « fonctions du ventre, » mais surtout, et de son aveu même, un a élément comique » ajouté à tant d’autres. On n’ignore pas qu’en effet, après ou avec les plaisanteries sur les maris malheureux, il n’y en a pas de plus populaires, je veux dire de plus universellement appréciées, dans le pays de Rabelais et de M. Armand Silvestre. C’est ce que M. Francisque Sarcey nous rappelait l’autre jour ; et, combien il avait raison, c’est ce que les journaux nous prouvaient à l’envi l’un de l’autre, à commencer par le Figaro. On ne se serait pas indigné de la sorte, si l’on ne s’était flatté, avec les affaires de son indignation, de faire aussi celles de son esprit, et par surcroît la joie de ses lecteurs. Ou plutôt, et depuis un mois qu’on s’y complait, on n’aurait pas ainsi remué cette matière, si l’on en ressentait une telle et si vive indignation. Pour flatter un goût naturel à la race, M. Zola, profitant de la liberté de la campagne, n’a donc fait ici qu’imiter les modèles, avec l’ambition d’en devenir un lui-même à son tour. Ayant renouvelé d’abord les moyens de la pornographie, il a