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intérêt romanesque, et comme son « dossier » militaire ou administratif sera sans doute aussi riche de documens que son « dossier » agricole, on voit que la tâche ne lui sera pas non plus très difficile. Feu Ponson du Terrail était plus scrupuleux : il tuait au moins de temps en temps Baccarat et Rocambole, et, pour les ressusciter, il attendait que les abonnés du Petit Journal ou de la Patrie les eussent instamment redemandés.

Cette pauvreté de l’observation dans les romans de M. Zola n’est qu’une juste conséquence du dédain qu’il a toujours professé pour la psychologie. J’aimerais autant qu’un expéditionnaire affichât le mépris de l’orthographe et de la calligraphie, c’est-à-dire des instrumens mêmes du métier qui le fait vivre ! Qu’un roman puisse à la rigueur se passer d’aventures et d’intrigue, de composition et de style, de grammaire et d’esprit, on le conçoit encore ; et il y en a des exemples ; mais ce que l’on n’a jamais vu, c’est un roman sans psychologie. Rien n’est simple ici-bas, et moins que toute chose, non pas même pour les autres, mais pour nous, l’exacte connaissance de la diversité de nos mobiles secrets sous l’apparente ressemblance des actes. C’est toute la psychologie. Otez-la du roman : la substance en périt, s’en dissipe, s’en évapore ; il ne demeure plus qu’un squelette ou une carcasse, une aventure sans cause, un fait divers sans intérêt, parce que nous n’en voyons ni les commencemens ni les suites. Ah ! qu’il a fait de mal à ceux qui ne l’ont pas compris, mais qui ne l’ont pas moins prétendu suivre, le maître qui a dit autrefois : « Si Shakspeare avait fait une psychologie, il aurait dit, avec Esquirol : L’homme est une machine nerveuse gouvernée par un tempérament, disposée aux hallucinations, emportée par des passions sans frein… » Et que doit-il penser, s’il le lit, de se voir ainsi travesti par M. Zola : « Hein ? étudier l’homme tel qu’il est, non plus leur pantin métaphysique, mais l’homme physique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes… N’est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau ? .. Faites donc penser un cerveau tout seul, voyez donc ce que devient la noblesse du cerveau quand le ventre est malade ? » Las ! quel style, et quel raisonnement ! Mais, en revanche, aussi, quelle heureuse définition de M. Zola par lui-même, et de son naturalisme : à l’étude exclusive et continue des fonctions du cerveau, l’auteur de Pot-Bouille et de la Terre a substitué l’étude non moins exclusive et non moins continue des fonctions du ventre.

C’est toute une part de son roman, la plus considérable, et dont il est évident qu’il fait lui-même le plus de cas, mais sur laquelle on me pardonnera de ne point insister. Manger, boire, et le reste, il ne se passe guère autre chose dans les quatre-vingt-quinze feuilletons que j’ai lus