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se mesurer avec eux, se faisant tuer pour défendre les chargemens confiés à leur garde. Les Européens qui trafiquent dans ces îles se servent des Boughis comme intermédiaires avec les tribus indigènes et se louent de leur loyauté. Vifs, gais, braves, résolus, les Boughis, très fiers de la confiance qu’on leur témoigne, sont aussi très sensibles à l’outrage et aux mauvais traitemens ; ils peuvent être vindicatifs à l’excès. M. de Rienzi, qui les a étudies de près, exalte leurs bonnes qualités ; il dépeint leurs femmes sous les couleurs les plus attrayantes, vante leurs grâces, leur modestie et leur chasteté.

L’île des Célèbes, dont la superficie est de 188,000 kilomètres carrés, contient une population de 850,000 habitans environ. Les évaluations varient fort pour toutes ces Iles, où les recensemens officiels font défaut. Le seul exact est celui d’une île presque inconnue du grand archipel d’Asie, l’île de Lombok, dont le rajah entreprit un jour le dénombrement de ses sujets. Il n’agissait pas ainsi par orgueil, comme David, roi d’Israël ; il tenait seulement à se rendre compte où passait le riz, principale source de ses revenus, dont il recevait chaque année une quantité moindre. Le nombre de ses sujets diminuait-il, ou ses mandataires s’enrichissaient-ils à ses dépens ? La taxe était légère : quelques poignées de riz par tête d’habitans, ce qui ne laissait pas que de faire chaque année un total respectable. Les kapala-kampong recevaient la dime de chaque village, les waidonos la centralisaient pour chaque district, et les gustis, ou princes, pour leurs provinces respectives.

Le rajah avait, à maintes reprises, formulé ses plaintes, à quoi on lui répondait, tantôt que la fièvre désolait le pays, tantôt que la sécheresse avait détruit les récoltes. Il n’y croyait guère ; chaque fois qu’il allait en chasse, il voyait ses sujets gras et prospères, les rizières bien entretenues et la population nombreuse. Il remarquait aussi que ses chefs de village et de district paraissaient fort à leur aise ; leurs kampongs étaient meublés avec luxe, leur table abondante, leurs greniers bien pleins, leurs armes chaque année plus riches. Tel qui portait autrefois un kriss à poignée de bois l’avait en ébène, d’autres en ivoire, plusieurs enfin en or. Il en conclut qu’on le volait outre mesure, et que chacun d’eux prélevait sur le tribut une part plus forte que ne l’autorisaient les traditions et que ne le permettait sa longanimité.

Mais comment savoir la vérité ? Il pouvait bien ordonner un recensement de la population, mais non le faire lui-même, et il ne doutait pas qu’on ne lui donnât des chiffres erronés. Plus le rajah réfléchissait et plus il devenait soucieux. C’était un gros effort pour lui de réfléchir, et ses courtisans inquiets de se demander ce qu’avait le rajah, dont l’humeur empirait. A leur grand étonnement, ils lui