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redoutables. Seuls, les Dayaks, les Malais, les Soulonans et quelques Négritos peuvent impunément respirer cet air empoisonné. Comme eux et mieux qu’eux, les Chinois y vivent, y prospèrent et s’y multiplient. Ici encore, comme à Java et à Sumatra, cette race étonnante et prolifique travaille et s’enrichit, insouciante des conditions climatologiques, dédaigneuse de la souffrance physique, de la maladie, de la mort, bravant tout pour l’amour du gain.

Ils débordent jusque sur les Célèbes, au-delà du détroit de Macassar. A mesure que l’on s’éloigne du continent asiatique, la nature se modifie, l’aspect du paysage change. Il semble que les Célèbes soient un fragment détaché, émietté du continent australien. Rien ici qui rappelle la configuration massive, la masse cyclopéenne de Bornéo. Entre cette île et les Moluques, l’île des Célèbes profile bizarrement ses pointes allongées comme les pattes d’une gigantesque araignée. Dans ses golfes profonds, sorte de mers intérieures, l’océan pénètre librement, enserrant de ses eaux bleues une énorme surface de côtes pittoresquement découpées, les jungles marécageuses, les impénétrables forêts de Bornéo sont remplacées par de grandes plaines tantôt unies, tantôt légèrement montueuses, couvertes d’herbes et de bruyères. Au centre seulement, l’origine volcanique s’accuse, le relief s’accentue et atteint à 2,300 mètres son point culminant. Ce massif montagneux, sillonné de vallées ombreuses où la couche végétale dépasse 20 pieds de profondeur, est semé de chênes, d’érables, d’upas, girofliers, muscadiers, palmiers. Sur les hauteurs, les cratères éteints, convertis en lacs, emmagasinent les eaux de pluie qui courent au long des ravins, entretenant la végétation et une fraîcheur relative. Sur les hauts plateaux pousse le blé et s’étendent de grands pâturages. Le ciel est beau, l’air salubre ; les grands pachydermes, les félins qui habitent les forêts de Bornéo ont disparu. Les singes de petite taille remplacent les gigantesques mias, les perroquets abondent.

Tout diffère, sauf la race indigène. Ici, on la désigne sous le nom de Boughis, mais sa parenté avec les Dayaks n’est pas douteuse. Toutefois, les Boughis sont plus blancs, plus grands et plus forts. Ils ont conservé plus pur le type caucasien, ils se sont moins croisés avec les Malais, les Chinois et les Négritos. A Java, à Sumatra et à Bornéo, l’invasion mongole a été plus considérable, les croisemens plus fréquens. Ces grandes îles ont ralenti et retenu l’immigration ; l’avant-garde seule a débordé sur les Célèbes ; mais, trop faible pour absorber et dominer la race autochtone, elle n’a fait que s’y juxtaposer sans la soumettre à ses lois, ses usages et ses coutumes. Les femmes boughis sont remarquables par leur beauté, les hommes par leur courage et leur probité. Chevauchant la mer sur leurs praos rapides, ils ont tenu en échec les pirates malais, n’hésitant jamais à