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constituait encore l’une des colonies les plus riches et les plus prospères qu’un peuple puisse ambitionner.


IV

Pour le voyageur qui, de la mer des Indes, pénètre dans l’Océanie, Java, Sumatra, Bornéo, les Célèbes et Les Philippines sont la porte ensoleillée du Pacifique. Pour celui qui, du cap Horn, remonte vers le nord-ouest, c’est encore la Malaisie, mais une Malaisie indienne, à la flore et à la faune exubérantes, aux pachydermes énormes, à la population dense. Les éléphans errent en liberté dans le royaume de Palembang, sur la côte sud-est.de Sumatra ; les tapirs, les rhinocéros et les tigres gîtent dans ces forêts inextricables où paissent des troupeaux de cerfs et des bandes de sangliers. Les oiseaux y sont rares ; quelques faisans, cailles, perdrix et poules d’eau. Les siamangs, grands singes noirs, au poil irisé comme des moutons d’Astrakan, aux bras énormes, troublent seuls de leurs cris mélancoliques le silence des hautes futaies. C’est entre Palembang et Djambi que l’arche de Noë s’arrêta, dit-on.

C’est un lieu de passage entre l’Océan-Indien et l’Océan-Pacifique ; c’est aussi un point de rencontre. Les races s’y heurtent, s’y superposent et se croisent ; les religions s’y coudoient, tolérantes par prudence et par nécessité. Les autochtones, les Dayaks, connus sous le nom de Battas à Sumatra, de Tagals à Luçon, de Bizayas à Mindanao, y forment la majorité, 1,800,000 environ, puis les Malais mahométans au nombre de 500,000, les Chinois originaires des provinces méridionales de Canton et du Fokien, plus de 100,000, et enfin les Européens et les métis.

Les Dayaks ont, avec la race caucasique, des analogies marquées : les cheveux noirs, lisses et épais, le teint presque blanc, le nez droit, légèrement aquilin, le visage ovale. Supérieurs aux Malais au point de vue intellectuel et moral, mais moins énergiques, les Dayaks ont été refoulés dans l’intérieur par cette race hybride, envahissante, de marins hardis, de pirates redoutables qui occupent les côtes et que leur mépris pour tout autre travail manuel que la navigation rend dépendans des Chinois, avec lesquels ils ont de nombreux traits communs. Comme les Chinois, ils sont de souche mongole ; le croisement avec d’autres races, notamment la race hindoue, a atténué chez eux certains signes caractéristiques : l’œil est moins oblique, le nez plus saillant, le menton plus pointu, mais l’origine commune se trahit dans la similitude du langage, dans la couleur de la peau, dans la cruauté naturelle et instinctive. Ce sont des demi-Mongols, des Mongoloïdes, comme les désigne M. Vivien de Saint-Martin.