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d’un état social préexistant, comme le fruit survient après la fleur[1]. Le goût et l’habitude de l’association, le concours d’initiatives dévouées, la sélection de cultivateurs d’élite, un cercle d’opérations restreint, telles apparaissent les premières conditions du succès. Le syndicat agricole deviendra tout naturellement le point de départ et comme la pépinière de la société, parce qu’il aura réuni en un faisceau les diverses classes d’agriculteurs, parce que ceux-ci, dans cette école primaire de solidarité, auront appris à apprécier les avantages de l’entente du crédit. Les membres les plus honorables d’un comice ou d’un syndicat se réunissent au nombre de sept au moins, et adoptent la forme de société anonyme par actions à capital variable ; les actions nominatives sont de 500 fr., mais il peut y avoir des coupons d’actions de 50 francs, pour faciliter l’entrée aux associés les plus modestes, et la loi de 1867 n’exige que le versement du dixième, soit 5 francs. Comme l’esprit de spéculation ne gâte pas l’affaire, le crédit mutuel garde le caractère de société de personne. L’administration est gratuite, et les fondateurs se contentent d’un intérêt de 2 1/2 à 3 pour 100, à peu près celui que rapporte la terre elle-même. Afin de limiter ses risques, de ne pas compromettre l’institution, celle-ci doit ne faire d’affaires qu’avec les membres, exiger de l’emprunteur une caution solvable, les prêts ne dépasseront pas un certain chiffre, la somme nécessaire pour acheter quelques vaches, une paire de bœufs, une machine agricole. Le crédit mutuel devient ainsi une véritable caisse d’épargne, un placement pour les économies, puisque ce sont les capitaux des uns qui serviront à faire des avances aux autres. Quant à la comptabilité, elle sera fort peu compliquée : un notaire la tiendra aisément ; pour éviter les dangers du maniement des fonds, on les dépose à la succursale voisine de la Banque de France, ou chez les receveurs particuliers, qui ne s’en dessaisiront qu’au vu de chèques signés par deux administrateurs de la société. Ou bien celle-ci prête avec le capital de souscription, ou bien, grâce aux garanties qu’offrent les fondateurs, elle se fait ouvrir un compte à la Banque de France. Le conseil d’administration examine chaque demande ; s’il l’agrée, l’emprunteur signe un billet à ordre de trois mois (billet qu’il pourra renouveler trois fois), il le fait endosser par un autre membre, la société met la troisième signature, ‘et voilà un simple cultivateur qui va obtenir de l’argent au taux de 3 pour 100, auquel il faut ajouter la commission bien modique de 1/4 ou 1/2 pour 100 que prélève la société pour ses frais. Sans doute, ce système de responsabilité limitée aux actionnaires est inférieur au système allemand, qui rend les associés

  1. Lire les remarquables études de M. Louis Milcent dans le Bulletin de la Société des agriculteurs de France.