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ses affaires ou s’il a de quoi ; il suffit, au contraire, d’une spéculation malheureuse pour qu’un industriel, bon aujourd’hui, devienne mauvais demain. Il y a donc moins de danger à consentir un an de crédit au premier que trois mois au second : crédit signifie confiance, et qui mérite mieux d’inspirer confiance que la terre et l’homme de la terre ?

Tandis que nous cherchons vainement cette formule du crédit agricole[1], d’autres pays ont mieux réussi, auxquels nous demanderons les résultats de leur expérience, afin de montrer aux sceptiques qu’il n’y a rien ici de chimérique, et qu’on ne s’acharne pas à la découverte de la pierre philosophale. En Allemagne, les premières sociétés de crédit mutuel datent du siècle dernier : les Landschaften provinciales (corporations de propriétaires) émettaient des obligations foncières au moyen desquelles elles consentaient des prêts hypothécaires entre associés. Voilà l’origine du crédit foncier. Aujourd’hui, elles consentent des prêts remboursables en cinquante-cinq ans, à 4 1/2 pour 100, intérêts et amortissement compris ; ne touchant aucun dividende, elles n’exigent des débiteurs que les frais d’administration, à peine 1/4 pour 100. Beaucoup prélèvent sur leur réserve la somme nécessaire pour créer, au profit de leurs membres, un crédit agricole mutuel mobilier ; ainsi fit, il y a treize ans, la Landschaft de Brandebourg, qui avança 500,000 marcs pour accorder à ses adhérens des prêts sans hypothèque. Ailleurs, ce sont les états provinciaux qui fournissent aux sociétés d’agriculteurs les fonds nécessaires ; la caisse agricole de Lausitz a pris naissance de la sorte, au moyen d’une avance de 4,500,000 marcs. On sait qu’en Allemagne la Société des agrariens considère l’hypothèque comme une monstruosité juridique et économique, et qu’afin de soustraire le paysan à ce qu’ils appellent l’esclavage du capital mobile, ils réclament le rachat des dettes hypothécaires par l’état, leur conversion en rentes foncières à capital inexigible et amortissement annuel, à l’exemple du rachat des droits féodaux. Ils font figurer aussi dans leur programme la réforme des impôts directs, un régime protectionniste plus sévère, une loi semblable à celle des Homesteads américains, par laquelle les terres, provisions, instrumens, bétail nécessaire à l’exploitation, soient déclarés insaisissables et exclus de l’exécution forcée. Pour procurer au paysan un crédit à bon marché, conforme à ses besoins, ils demandent la

  1. On dit que le crédit est personnel lorsqu’il a pour seule base la confiance qu’inspire la personne de l’emprunteur ; il est réel lorsqu’il a pour garantie les biens du débiteur. Ce crédit réel est mobilier ou hypothécaire, suivant que les biens donnés en garantie sont meubles ou immeubles. En réalité, le crédit est l’échange d’une valeur présente avec une autre dans l’avenir.