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campagne, les paysans (mot si noble, si maladroitement dédaigné et que nous revendiquons hautement, car le paysan est le pays lui-même ) ne sont pas la force conservatrice par excellence, et leur fera-t-on un procès de tendance, parce qu’on les soupçonne de voter pour tel ou tel candidat ? « Les uns pensent comme leur usine, nous disait un cultivateur de la Haute-Saône, ceux-ci comme leur outil, ceux-là comme leurs bourses vides qui aspirent à se remplir, moi je pense comme ma terre. » En entrant dans les syndicats, le conservateur laisse à la porte ses opinions politiques, comme ces nobles d’autrefois qui, lorsqu’ils voulaient faire du commerce à l’étranger, laissaient leurs titres au greffe du parlement et ne les reprenaient qu’au retour. On serait fort mal venu sans doute à chercher noise aux membres des syndicats ouvriers au sujet de leurs doctrines avancées, et, sans aboutir à une espèce d’inquisition, comment soumettre à une sorte d’examen de conscience ceux qui invoquent la liberté d’association ? Il semble que des vérités aussi élémentaires ne devraient pas avoir besoin d’être affirmées, mais l’esprit de parti est un Procuste qui couche fort mal la justice ; et la politique d’exception, toujours habile à trouver des prétextes qui favorisent la licence pour ses amis, l’arbitraire contre ses ennemis, fait songer au mot d’un ministre, devenu autoritaire par la grâce subite de son portefeuille, auquel on demandait compte de ses anciennes opinions : « La liberté, je la défendrai toujours dans l’opposition. »

Après le gouvernement, mais d’une autre manière, certains comices agricoles se sont émus de cette rapide éclosion des syndicats ; il leur semblait que ceux-ci dussent empiéter sur leurs attributions et les rendre inutiles. Mieux armés par la loi, moins platoniques, plus agissans, ils pourraient, en effet, élever le conflit, ériger autel contre autel, attirer à eux les forces vives de l’agriculture, en réduisant les vieux comices au rôle de rois fainéans. Les défenseurs des intérêts ruraux n’auront garde de tomber dans cet écueil ; ils devront s’appliquer à souder le présent au passé, marier les jeunes syndicats aux antiques associations, regarder les deux institutions comme attelées au même char et tirant dans le même sens. Mille moyens, un seul but. On peut transformer les comices en syndicats, comme l’a fait M. Emile Gatellier à