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M. le général Boulanger, quand il était au pouvoir, n’a pas su se borner à être un ministre de la guerre uniquement occupé des affaires militaires, pas plus qu’il ne peut se résigner aujourd’hui à être un simple commandant de corps d’armée : c’est trop peu pour lui ! Il a voulu faire de la politique, et il n’a même pas fait seulement de la politique, il a accepté la plus étrange solidarité avec les partis les plus violens, avec ceux qui ne cessaient d’attaquer, d’outrager le gouvernement dont il était le ministre, il s’est exposé à paraître le complice de manifestations grossières, où les acclamations adressées à son nom étaient accompagnées de vociférations contre M. Jules Ferry, et même de cris d’hostilité contre M. le président de la république. Il s’est jeté dans la mêlée des partis, il subit la conséquence de la position qu’il s’est faite, il reçoit coup pour coup. M. le général Boulanger croit-il donc avoir le privilège d’être un personnage d’exception, de se mettre partout et à tout propos en scène, de se faire l’allié ou le protégé des agitateurs qui ne respectent rien, et de garder lui seul une sorte d’immunité au milieu des luttes publiques, d’échapper aux représailles ? Si la représaille a été cette fois un peu vive, elle tenait à toute une situation politique, et une rencontre avec un ancien président du conseil n’y aurait rien changé.

Que cette situation suit étrange et anarchique, c’est bien possible, c’est même certain, et tous ces faits auxquels l’ancien ministre de la guerre s’est trouvé mêlé comme inspirateur ou comme acteur, depuis quelques jours, ont dans tous les cas une moralité. Il est bien clair que cela ne peut pas durer. Imagine-t-on un état où un homme puisse 6e créer cette position extraordinaire d’un commandant de corps d’armée paraissant toujours être en dehors des conditions régulières de la discipline, inspirant des journaux, mettant en cause dans ses confidences des généraux et des partis, entrant en connivence avec tous les adversaires du gouvernement, affectant une sorte d’indépendance et adressant même des télégrammes de condoléance à l’étranger ? Ce qu’on ne permettrait pas à un autre officier-général ne peut évidemment être permis au commandant du 13e corps, et c’est désormais M. le ministre de la guerre qui peut seul dire le dernier mot de ces imbroglios plus que singuliers en faisant sentir son autorité, en rappelant simplement, fermement à son prédécesseur qu’il n’est qu’un chef militaire comme un autre, soumis aux mêmes obligations et aux mêmes devoirs. Il est plus que temps d’en finir avec les fantasmagories et les incidens bruyans pour rentrer dans l’ordre, d’en revenir à la seule politique sérieuse et utile, celle qui s’occupe, non des conspirations imaginaires et des querelles personnelles, mais des affaires et des intérêts de la France.

A considérer l’état général de l’Europe par ces jours d’été, on ne dirait pas qu’il y a tant de questions en suspens, tant de conflits à peine