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constater qu’aujourd’hui même la messe est une représentation en même temps qu’un renouvellement de la Passion, du « saint sacrifice » où fut offert réellement le sang de l’Homme-Dieu. On ne pourrait, sans une apparence d’impiété, définir cet office religieux « un monologue dramatique. » Chez les Hellènes, cependant, les exercices dramatiques furent d’abord des actes religieux ; ce n’est que peu à peu qu’ils furent transportés du sanctuaire au parvis du temple, si je puis m’exprimer ainsi, avant d’être célébrés dans des édifices construits exprès. C’étaient des initiés, ceux qui avaient leurs entrées aux « mystères » d’Eleusis. Cette subvention attribuée à des fêtes théâtrales, et qui en faisait tous les frais, « le trésor théorique, » c’était une espèce de denier de saint Pierre ; et, en même temps, c’était un dépôt public. Le chœur, à l’origine, sous la direction du chorège, c’était comme une maîtrise et une garde nationale d’amateurs ; la fonction de choriste était sacerdotale, et tant qu’elle durait, au risque de choquer M. Laisant, elle exemptait du service militaire. Les Dyonisiaques étaient une sorte de mardi gras liturgique : la « cérémonie, » que la Comédie-Française ne manque pas de nous offrir, après le Malade imaginaire, dans la soirée qui précède le mercredi des Cendres, ne donne qu’une faible idée de la procession qui, dans ces grandes journées, accompagnait les solennités scéniques. Aux Panathénées, on promenait le voile de Pallas, et puis les danses commençaient, et les jeux gymnastiques ; enfin les représentations théâtrales. Figurez-vous, si vous le pouvez, les reliques de sainte Geneviève montrées à la vénération enthousiaste des Parisiens, sur des reposoirs, un 14 juillet, avec le concours de l’Académie nationale de danse, des gymnastes de M. Déroulède et des sociétaires de la Comédie-Française ! .. Mais le pouvez-vous ? — Avec de pareils titres de noblesse, il n’est pas surprenant que la profession d’acteur, même après que le théâtre fut séparé de la religion et de l’état, ait continué d’être honorée par les Grecs. Il se comprend qu’Eschine soit devenu orateur politique, Aristodème ambassadeur… Mais une autre profession aurait pu être considérée, elle aussi, comme auguste, à l’origine des sociétés ; elle aurait pu retenir le respect des hommes : quoi de plus noble que d’être le bras de la nation, frappant elle-même au nom de la suprême justice ? Des honneurs particuliers ne s’attachent pourtant pas au métier de bourreau.

Il n’y a qu’heur et malheur en ce monde : quelques hautes œuvres qu’il exécute, le bourreau n’a jamais été révéré comme un pontife et un grand dignitaire de l’état ; et, deux mille ans après Aristodème, après Eschine, il a fallu qu’un autre orateur politique, le comte de Clermont-Tonnerre, priant l’Assemblée nationale de s’expliquer sur les Droits de l’homme et sur l’égalité de tous les Français, demandât la réhabilitation formelle de ces deux professions, « que la loi met sur le même rang : » celle de bourreau et celle de comédien. C’était le