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que ceux de Lekain et de Talma ? N’est-ce pas assez de cet apophtegme : « On ne connaissait à Rome ni la chasteté ni la pudeur ? » Ces pauvres Romains, en fin de compte, ils ne connaissaient donc rien ! Notre auteur, lui, connaît de petits faits, qu’il interprète avec ingénuité : « Dès que les comédiens ne furent plus soumis au préteur, leur licence devint extrême… Pylade devint tellement arrogant qu’un jour, jouant Hercule furieux, il s’amusa à lancer des flèches sur le public, et il blessa grièvement plusieurs des assistans. » Je ne suis pas prévenu pour Pylade, mais j’ai peine à me figurer qu’il ait agi ainsi par excès d’arrogance ; j’imaginerais plutôt qu’il inventa un effet et qu’il fut maladroit. Enfin M. Maugras déclare : « Jaloux du plus ou moins de succès qu’ils obtenaient, les pantomimes pendant les entr’actes s’égorgeaient derrière la scène… » Était-ce bien l’habitude ?

Mais voilà trop de chicanes. M. Maugras, évidemment, n’a pas prétendu écrire avec importance, ni avec un scrupule, partout égal. Il passe vite, et presque sans toucher terre, sur les Grecs, sur les Romains, et même sur le moyen âge. Arrivé au XVIIe siècle, il témoigne plus de complaisance pour son sujet, et plus de compétence : on voit qu’il approche de son petit domaine. C’est dans le XVIIe, en effet, et surtout dans les alentours de Voltaire, qu’il prend ses aises. Il a naguère habité le pays, et, en dernier lieu, ce canton, avec M. Lucien Pérey[1] : revenu seul, il tire d’une cachette, si je ne me trompe, des papiers qu’il avait rassemblés au cours de ses précédentes explorations ; il les expose avec plus ou moins d’ordre, sans craindre quelques répétitions ni quelque longueur de temps ; il y ajoute de récentes trouvailles. Ce qu’il sait le mieux, sur la question, ce n’est pas le commencement, ou plutôt c’est le commencement de la fin ; mais, comme cette partie de la matière est à la fois la plus significative et la plus amusante, il faut le féliciter et nous féliciter de la faveur qu’il lui accorde. Il conviendrait volontiers, je suppose, que c’est ici le corps de l’ouvrage, et que la tête et la queue sont postiches ; et ce franc aveu ne nous fâcherait pas. Au reste, s’il s’était borné à ce qu’il possédait le plus sûrement et le plus proprement, s’il y avait employé tous ses soins, il eût agi avec plus de prudence pour sa gloire devant les connaisseurs ; en s’étendant comme il l’a fait, il a procédé plus généreusement pour l’instruction et la récréation du grand public.

Il n’était pas superflu de rappeler à beaucoup de lecteurs que le théâtre, en Grèce du moins, eut une origine sacrée à la fois et nationale (pour ces temps-là, c’est tout un). Cette manière de voir et de sentir est si loin de nous ! Il faut un effort de réflexion pour

  1. L’Abbé Galiani, la Jeunesse de Mme d’Epinay, les Dernières années de Mme d’Epinay, la Vie intime de Voltaire etc., par Lucien Pérey et Gaston Maugras ; Calmann Lévy, éditeur.