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la situation que leur créait l’indifférence coupable de la métropole. L’occupation de ces archipels par l’Allemagne complétait l’investissement de leur continent commencé, disaient-ils, par l’établissement de la France à la Nouvelle-Calédonie, puis aux Nouvelles-Hébrides. Au nord et à l’est, sur une étendue de 800 lieues, un demi-cercle de colonies étrangères enserrait l’Australie, lui barrant la route vers le nord-est, vers le canal de Panama et Vancouver, tête de ligne du chemin de fer du Pacifique par le Canada, construit tout entier sur un sol anglais, et, en cas de guerre, unique voie de communication entre l’Atlantique et le Pacifique. L’Australie se sentait isolée et menacée. Vainement, avec une désinvolture imitée de M. de Calonne, les ministres anglais répondaient aux réclamations de la colonie que, pour la satisfaire, ils ne se brouilleraient pas avec M. de Bismarck, et que l’Allemagne était une alliée dont on ne pouvait suspecter les intentions, M. Julian Thomas répliquait par les vers de Tennyson :

It is true that we have a faithful ally,
But only the devil knows what he means.
(Oui, je veux croire notre alliée sincère,
Mais Satan seul pénètre ses projets.)

Et, de fait, le traité conclu entre l’Angleterre et l’Allemagne à Berlin, le 6 avril 1886, par l’entremise de sir Edward Baldwin Malet, ambassadeur anglais, et le comte Herbert Bismarck, sous-secrétaire aux affaires étrangères, n’est pas de nature à donner satisfaction aux réclamations de l’Australie ni à calmer ses inquiétudes. Il abandonne virtuellement à l’Allemagne, outre ce qu’elle a pris, ce qu’il lui plaira encore de prendre au nord d’une ligne de démarcation tracée sur la carte annexée audit traité, et il interdit à l’Angleterre toute extension territoriale au nord, à l’ouest et au nord-ouest de ladite ligne. Il stipule, il est vrai, que les deux parties contractantes s’engagent à ne pas occuper Samoa et Tonga, considérés comme territoires neutres ; mais l’influence de l’Allemagne prédomine dans ces deux archipels ; les Godefroy, surnommés les rois des mers du sud, y ont créé des établissemens qui en feront avant longtemps des iles allemandes, sinon de droit, du moins en réalité.

Ces faits expliquent la désaffection chaque jour croissante des colons australiens, leurs tendances séparatistes et l’idée d’une vaste fédération australienne, qui gagne constamment du terrain parmi eux. L’exemple du Canada les séduit ; comme lui, ils réclament le relâchement des liens qui les unissent à la mère patrie, la suppression des gouverneurs spéciaux nommés par la couronne et leur remplacement