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exceptionnels, qu’elle était redevable aux convicts déportés d’Angleterre de la prodigieuse impulsion qui l’a si rapidement portée à son point actuel de richesse et de prospérité. Cette impulsion date au contraire du jour où les colons libres se sont sentis assez nombreux et assez forts pour exiger de l’Angleterre qu’elle cessât de déverser sur la colonie nouvelle le trop-plein de ses prisons et l’écume de ses criminels. Ce n’est pas à dire non plus que les 120,000 convicts qu’elle a successivement déportés sur ce continent lointain depuis 1788 n’aient été d’aucune utilité. Ils ont servi d’assises à cette construction puissante. Ils ont joué le rôle de ces blocs sacrifiés, enfouis dans les fondations, sur lesquels l’édifice s’élève et dresse sa façade de pierres équarries, taillées et sculptées. Ils ont fouillé et défriché le sol, tracé les routes, rejeté les Tasmaniens dans l’intérieur, déblayé le terrain sur lequel 1,300,000 émigrans libres sont ensuite venus planter leurs tentes. Qu’un grand pays comme l’Angleterre ait trouvé chez lui, en près d’un demi-siècle, 120,000 chenapans à expédier à l’autre bout du monde, cela n’est pas pour surprendre ; mais qu’il ait trouvé plus de 1 million d’émigrans libres désireux de s’établir dans une colonie à laquelle sa population primitive donnait un aussi mauvais renom, cela serait plus extraordinaire, si l’on ne tenait compte de l’accroissement du nombre de ses habitans, de leurs instincts migrateurs, de la fertilité du sol de l’Australie et enfin de la découverte des mines d’or.

C’est à 1837, à l’avènement au trône de la reine Victoria, que remontent les tentatives sérieuses de colonisation du continent australien. Le facteur principal fut l’élevage du mouton. Les premiers essais faits par les colons libres donnèrent d’excellens résultats. Londres était le grand marché de laines ; elle absorbait à des prix rémunérateurs les produits de la toute australienne. Ce genre d’élevage exigeait peu de capitaux ; le sol était favorable et sans limites, les concessions de terre peu onéreuses.

Puis et surtout ce genre d’occupation n’exigeait ni éducation préalable, ni long apprentissage ; en quelques mois, on acquérait l’expérience nécessaire ; cette vie nomade, toujours en plein air, souriait à une population d’émigrans jeunes, actifs, passionnés pour les exercices du corps, pour l’équitation, et que n’effrayait nullement la solitude des stations. Peu sociable par nature, avide d’indépendance et d’espace, le colon anglais, le, cadet de famille surtout, retrouvait là, sous un ciel plus doux, dans un pays plus fertile, les rudes exercices, les longues chevauchées dont il avait, tout enfant, contracté le goût et l’habitude dans le comté paternel.

Sous ce climat propice, les moutons se multipliaient avec une prodigieuse rapidité. Pour trouver des terres vacantes, les