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de corail, de cette poussière humide sur laquelle il étend son épaisse ramure odorante. Sous son ombre poussent le papyrus et l’hibiscus. La lagune se comble ; par le chenal qui la met en communication avec la mer, chaque vague lui apporte son tribut de sable impalpable, de végétaux, de coquilles vides, d’animalcules. Dans cette oasis naissante, les hirondelles de mer, lasses de leurs longs parcours, s’arrêtent et déposent, avec un guano fécondant, des germes de plantes et d’herbes. Les grands crabes, les crustacés, les mollusques, les tortues viennent y chercher un abri dans les anfractuosités des bancs de corail ou une plage unie pour y enfouir leurs œufs dans le sable.

Autour de cette île, l’infatigable zoophyte élève, à plusieurs kilomètres parfois de distance, une seconde, puis une troisième enceinte. Aux îles Fijis, aux îles des Amis, de banc en banc, de récif en récif, il a poussé jusqu’à 100 milles au large du noyau principal ses murs de coraux dont les vides lentement se comblent. Ailleurs, dans l’Archipel Dangereux, il a relié les uns aux autres, par des récifs-barrières mesurant jusqu’à 400 lieues de longueur sur des centaines de mètres d’épaisseur, des îlots créés par lui, comblant les détroits qui les séparaient, édifiant ainsi peu à peu sur les débris d’un continent disparu les puissantes assises d’un continent nouveau.

Il faut un an à ces industrieux travailleurs pour exhausser leur massif de 0m,003, et M. Dana a calculé que celui des Fijis, qui dépasse 600 mètres d’épaisseur, leur a pris vingt mille siècles à construire. Mais aussi leur œuvre est indestructible, et ces infusoires visqueux, sans consistance, presque diaphanes, à peine visibles à l’œil, ont aggloméré des masses capables de résister à l’effroyable pression de vagues qui atteignent parfois 50 mètres de hauteur et traversent le Pacifique avec une rapidité qui décuple leur force. Le 23 décembre 1854, nous avons été témoin d’un phénomène de cette nature, rapporté depuis par M. Frédol[1]. Une vague de plus de 400 kilomètres de largeur, partie des côtes du Japon, traversa l’Océan-Pacifique avec une vitesse vertigineuse de 150 lieues à l’heure. Après s’être heurtée aux îles Sandwich, où elle causa d’incalculables ravages, elle vint, cinq heures plus tard, se briser avec un épouvantable fracas sur les côtes de la Californie, submergeant les rives, sapant les falaises, faisant voler en éclats des quartiers de roches.

Parmi les merveilleux phénomènes dus à l’incessant travail de ces animalcules invisibles, l’un des plus surprenans est le

  1. Le Monde de la mer, par A. Frédol.