Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/891

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesures n’en fut pas moins généralement heureux, et c’est avec un légitime orgueil, lorsque la guerre d’Amérique éclata, que la France put offrir au monde le spectacle d’un corps d’armée dans lequel il n’y eut pas un seul acte de pillage ou de désordre à relever. « La discipline française est telle, écrivait Lafayette à Washington, que les poulets et les cochons se promènent au milieu de nos tentes sans qu’on les dérange. » Pareillement, dans ses Mémoires, Rochambeau rapporte que les Américains « n’en reviennent pas de voir leurs pommiers encore tout chargés de fruits au-dessus du camp que les soldats occupent depuis trois mois. » Quel plus bel éloge que cet étonnement des Yankees et quel argument en réponse aux nombreux historiens qui n’ont vu de l’ancien régime que ses excroissances et ses difformités, et qui se plaisent encore à dater de la révolution la renaissance de l’armée !


III. — LE CODE.

Par quels moyens, en dépit de toutes les causes de dissolution qu’on vient d’énumérer, et malgré l’esprit du temps, la discipline avait-elle pu se maintenir et demeura-t-elle, en somme, aussi forte, jusqu’aux derniers jours de la monarchie ? Est-ce par la sévérité de son code et de ses lois militaires, par la compression et la répression à outrance que l’ancien régime, débordé de tant d’autres côtés, sut ici se défendre et résister ? Aucune opinion n’est plus généralement reçue : répandue par le groupe des encyclopédistes et des écrivains de l’école de Rousseau, reprise et exploitée par les orateurs de la constituante, notre génération l’a trouvée dans le nombre des idées préconçues que l’école enseigne comme articles de foi. Rien de plus discutable pourtant. Dans ses études sur l’ancienne société française, Tocqueville signale avec infiniment de raison et de sagacité l’écart souvent énorme qui s’établit, au XVIIIe siècle, entre les mœurs et la loi : celle-ci, qui reste dure, vindicative ; celles-là, qui tempèrent, adoucissent, humanisent. J’ai déjà constaté dans cet ordre d’idées, à propos de la milice, l’action illégale mais bienfaisante des intendans et de leurs subdélégués, prenant sur eux de transgresser les ordonnances royales dans l’intérêt des populations, sans que l’administration centrale, beaucoup plus paternelle et beaucoup moins régulière alors qu’aujourd’hui, s’en émût. Ainsi du code militaire et des diverses autorités chargées de l’appliquer. Quand vous parcourez la longue série des ordonnances et des règlemens relatifs au service intérieur, au service en campagne, à la police ou aux peines, vous êtes frappé de la minutie, du nombre et de la sévérité de leurs prescriptions. A chaque pas qu’on fait dans cette lecture, on y trouve embusqués : la prison,