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de la douma moscovite, et, conformément aux représentations du saint-synode, l’article 165 du code pénal a de nouveau été strictement appliqué.


V

Il en est des fêtes comme des jours déjeune ; le nombre en est manifestement excessif, et l’église éprouverait les mêmes difficultés à le diminuer. Ici encore, le culte orthodoxe a pour nous quelque’ chose d’archaïque. Autant de fêtes que de jeûnes ; de trois jours, l’un est consacré à l’abstinence et un autre au chômage. Les dimanches forment à peine la moitié des jours fériés, et bien des fêtes ont une veille ou un lendemain. Aux solennités religieuses s’ajoutent, en Russie, les solennités civiles, fêtes de l’empereur, de l’impératrice, du prince héritier, anniversaire de la naissance ou du couronnement du souverain. Autrefois, la fête de tous les grands-ducs était jour férié.

Pour la santé publique, ces chômages répétés ne valent guère mieux que les longs carêmes. Les jours de fête sont les jours d’ivrognerie et de débauche. Si le matin est donné à l’église, le cabaret a la journée ou la soirée ; et, si tous les villages n’ont pas d’église, tous ont des cabarets. Le Russe aime peu les exercices du corps ; il passe ses fêtes au traktir ; il ne connaît d’autre plaisir que la boisson et un repos inerte. On a remarqué qu’en russe le mot fête vient du mot oisiveté[1], et comme, sous tous les climats, l’oisiveté est la mère des vices, les fêtes trop fréquentes deviennent une cause de démoralisation.

En Russie, tout comme en Occident, certains esprits s’imaginent que l’église a multiplié les fêtes par calcul, dans l’intérêt du clergé, qui bénéficie de la dévotion de ses ouailles et de la fréquence des offices, d’autant qu’à certains de ces jours l’usage était, dit-on, de travailler au profit du curé. Il n’est nul besoin de cela pour expliquer le grand nombre des jours fériés. Le penchant naturel de l’esprit religieux, de l’esprit ecclésiastique, est partout de détacher l’homme des choses terrestres pour le ramener au monde invisible. L’un des moyens, ce sont les fêtes, les jours consacrés qui appartiennent à Dieu. Y a-t-il en là un calcul humain, l’église, en Orient comme en Occident, s’est sans doute moins inspirée de l’intérêt du clergé que de l’intérêt des masses, du menu peuple des villes et des campagnes. En multipliant les jours fériés, l’église remplissait son rôle de patronne des faibles et des petits. Tant qu’il y a eu des esclaves ou des serfs,

  1. Prazdnik (fête) de prazdnyi (oisif).