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bourdonnaient sourdement, éclatent de toutes parts en joyeuses fusées, pendant que les têtes se découvrent, que les cierges s’allument, que le canon gronde au loin. La liturgie de cette nuit de Pâques peut fournir un exemple du symbolisme historique habituel au rite gréco-russe. À l’heure marquée, après le chant des psaumes, l’évêque, ou le prêtre qui officie, s’approche du sépulcre ; il lève le suaire et voit que le Sauveur n’y est plus. Alors, au lieu d’annoncer la résurrection, il hésite comme les disciples de l’évangile. Il sort de l’église avec son clergé, à la recherche du Sauveur disparu ; puis, rentrant dans le temple, il annonce aux fidèles que le Christ est ressuscité et entonne un hymne de triomphe. Certes, ce symbolisme ne peut être toujours aussi transparent ; le peuple ne le comprend pas toujours ; il n’en prend pas moins part à l’allégresse et au deuil de l’église, pleurant et se réjouissant avec elle. Le jour de Pâques, il y a quelque chose de touchant à voir les hommes de toute classe s’embrasser, au cri de « Christ est ressuscité, » en échangeant des œufs de Pâques, antiques emblèmes de la résurrection[1].


II

En dépit de la beauté de ses rites, bien dignes d’inspirer le poète et l’artiste, l’église gréco-russe n’a pas ouvert à l’art les mêmes horizons que l’église latine. De ses splendides iconostases, de ses sombres absides, il n’a rien surgi de comparable aux vierges d’un Raphaël ou d’un Corrège, aux anges d’un Botticelli ou d’un ira Angelico. Ici encore l’on pourrait dire que la faute est moins à l’église qu’aux peuples élevés par elle et à la lenteur de leur développement. C’est là sans doute une explication, mais ce n’est pas la seule. Les Tatars n’auraient pas arrêté de trois ou quatre siècles la croissance de la Russie, que l’église russe n’eût point donné à l’art la même impulsion que l’église latine. Cela tient, en grande partie, aux précautions prises par l’Orient contre l’envahissement de l’esprit mondain et contre les séductions de la beauté périssable. En faisant appel aux sens, l’église orthodoxe semble avoir toujours craint d’en être la dupe. Elle a toujours été défiante de ce qui flatte l’œil ou caresse l’oreille, si bien que, dans les foyers mêmes de l’art antique, sous le ciel de Phidias, en face des dieux du Parthénon conservés à Byzance, cette méfiance de la chair a étouffé tout art vivant.

L’église, il est vrai, n’a point condamné l’art, la peinture et la

  1. Comme en Occident, les fêtes de l’église ont inspiré des chants populaires, chants de la Nativité, chants de la Passion, chants de Pâques. Ceux de la Petite-Russie se font remarquer par l’humeur railleuse de ses Cosaques. Gogol en avait recueilli et copié de sa main. (Voyez, par exemple, la Kievshaïa Starina, avril 1882.)