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meilleure que celle des fonctionnaires du même ordre dans les autres administrations publiques.

Le grief le plus légitime des fonctionnaires, c’est moins la lenteur et l’incertitude de l’avancement que l’absence de sécurité. Nul n’est assuré du lendemain. Aucun tribunal, aucun règlement ne protègent le fonctionnaire contre une révocation soudaine. Il peut être frappé sans savoir pourquoi on le frappe et sans pouvoir obtenir aucune explication. Aucun recours ne lui est ouvert. On peut le promener du nord au midi par des déplacemens ruineux, il est contraint de se résigner et d’obéir ou de sacrifier son pain et celui de sa famille. Il est de mode, dans une certaine école, de parler du despotisme de Napoléon : personne n’a fait plus que l’empereur pour relever la condition des fonctionnaires publics. Il ne voulait pas être servi par des valets, comprenant que la seule intelligence ne peut suppléer le sentiment du devoir, le respect de soi-même, qui ne vont pas sans la sécurité. Il voulait maintenir fermement entre ses mains la direction de ton gouvernement ; mais il se préoccupait en même temps de protéger les fonctionnaires contre ses ministres et contre lui-même. Par la distinction entre le grade et l’emploi, il conciliait les droits de son autorité et la sécurité qu’il reconnaissait devoir aux fonctionnaires. Il avait commencé par concéder aux officiers la propriété absolue de leur grade ; quand il fonda l’université, il attribua le même avantage aux professeurs titulaires des lycées, et il ne les rendit justiciables que d’un tribunal universitaire. Il avait établi et il respectait l’inamovibilité de la magistrature ; il avait écrit dans les articles organiques l’inamovibilité des curés de canton. A la veille de sa chute, par un décret daté de Moscou, il étendait cette inamovibilité aux conservateurs de certaines bibliothèques publiques. Il resserrait ainsi lui-même, de jour en jour, le cercle dans lequel son autorité pouvait s’exercer sans résistance. Le régime actuel, qui est la négation du droit et de toute liberté, a successivement renversé toutes ces barrières et détruit toutes ces garanties. On voit aisément ce que les fonctionnaires y ont perdu : il est plus malaisé de voir ce que l’état y a gagné.

Le gouvernement est-il mieux servi ; les intérêts du trésor public sont-ils mieux défendus depuis que les fonctionnaires, livrés sans défense au despotisme ministériel, sont à la merci d’un délateur ? On se souvient des déclarations de M. Léon Say sur l’énervement de l’action administrative et sur le préjudice causé au trésor par l’intimidation qui pèse sur les agens chargés de percevoir les impôts. Ces déclarations ont été souvent citées. Nous reproduirons de préférence une déclaration plus catégorique encore d’un des journaux qui ont poussé de toutes leurs forces aux épurations. Le Siècle