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dans certaines de nos provinces, moins d’enfans illettrés qu’aujourd’hui : le pays était couvert d’écoles de tout ordre, depuis la modeste école de paroisse jusqu’aux collèges et aux écoles savantes qui recrutaient les professions libérales, ou qui formaient les officiers de terre et de mer ; presque partout l’enseignement était gratuit pour ceux qui le recevaient, et il ne coûtait rien non plus ni au trésor royal ni aux contribuables, tous ces établissemens subsistant des revenus d’anciennes fondations ou des libéralités du public. Une vive émulation existait entre les diverses universités et entre les ordres enseignans ; et on aurait quelque peine à dire ce que la pédagogie moderne a ajouté aux méthodes de Port-Royal, des oratoriens et des jésuites. La révolution fit table rase de ce magnifique ensemble qui avait valu à la France un rang si élevé parmi les nations : les établissemens furent détruits ou vendus, les bibliothèques condamnées aux flammes, les maîtres dispersés ou envoyés à l’échafaud. Napoléon entreprit de déblayer ces ruines et de reconstituer l’enseignement à tous ses degrés : comme l’œuvre était urgente, il crut qu’elle ne pouvait être accomplie que par l’initiative et avec les fonds de l’état. On ne saurait blâmer la création de l’université, imposée par une nécessité impérieuse ; mais le gouvernement aurait dû tendre à restreindre de plus en plus son intervention en des matières qui ne sont point de sa compétence, et à réduire les sacrifices imposés au budget. C’est la marche contraire qui a été suivie. La diffusion de l’instruction étant le but à atteindre, il semble qu’on ne devrait point regarder à la main qui donne cette instruction, pourvu que celle-ci soit donnée. On devrait accueillir avec reconnaissance tous les concours, et se féliciter de rencontrer des auxiliaires prêts à alléger la tâche et les dépenses de l’état. Il n’en est rien. On a détruit la liberté du corps enseignant, dépouillé des garanties que Napoléon lui avait accordées ; on travaille à détruire la liberté des pères de famille et, en attendant, on ruine les finances. La manie du jour est habilement exploitée par les administrations municipales. Une ville a eu la sotte vanité d’entretenir un collège qui lui coûte, bon an mal an, une soixantaine de mille francs et qui obère son budget : elle se décharge de son fardeau sur le gouvernement. Elle offre au ministre l’abandon des bâtimens qu’elle possède et un concours d’un demi-million pour l’érection de ce collège en lycée. Les députés aidant, le ministre accepte : l’état dépense 1,500,000 francs ou 2 millions en constructions, il prend à sa charge tous les frais du personnel, et voilà la ville sortie d’embarras. C’est ainsi que les lycées vont se multipliant, sans aucun profit pour l’instruction, qui n’est ni meilleure ni plus mauvaise qu’auparavant, étant donnée par un personnel de