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un demi-siècle à la chancellerie et finir par y occuper une des fonctions les plus élevées. Quand le personnel se fut rangé en demi-cercle autour de son chef, M. Dambray ne put retenir un mouvement de surprise. « Messieurs, vous êtes bien nombreux, dit-il ; de mon temps, nous n’étions que sept. »

Cependant, M. Dambray n’avait devant lui que trente-cinq fonctionnaires ou employés, qui composaient, en 1814, tout le personnel de la chancellerie. Que dirait-il aujourd’hui s’il voyait défiler devant lui les bataillons qui se trouvent à l’étroit dans les vastes bâtimens de la place Vendôme ! Cet accroissement du personnel est-il exagéré ? On est tenté de le croire, quand on considère que la France n’a aujourd’hui ni plus de cours, ni plus de tribunaux, ni plus de notaires, ni plus d’avoués, ni plus de commissaires-priseurs qu’en 1814 : il y a seulement plus de criminels ; mais ceux-ci regardent les cours d’assises. Un magistrat qui avait fait toute sa carrière à la chancellerie, qui y avait été successivement chef de bureau, chef du cabinet, chef du personnel, avant d’occuper un siège de judicature, disait volontiers qu’il était prêt à prendre à forfait, à raison de 100,000 francs par an, tous les services du ministère de la justice, et qu’il avait la certitude d’y gagner 25,000 francs. On aurait tort de croire que le ministère de la justice soit une exception. La même progression est facile à constater dans les divers départemens ministériels : il suffit de prendre et de comparer entre elles deux années de l’Almanach national, séparées par un certain intervalle. On peut suivre ainsi, pas à pas, le curieux travail de fécondation artificielle qui transforme les bureaux en divisions, les divisions en directions, quelquefois même les directions en ministères. On y verra, par exemple, que le ministère de l’instruction publique possède aujourd’hui autant de directeurs qu’il comptait de chefs de bureau il y a trente ans ; mais la palme appartient au ministère des beaux-arts, dont tous les services, à l’exception des bâti mens civils, formaient, il y a trente ans, une simple division du ministère de l’intérieur, à la tête de laquelle a été longtemps M. Romieu.

L’opinion publique a fini par s’émouvoir de ce développement continu des états-majors administratifs, et du surcroît de charges qui en résulte pour le trésor. Ces préoccupations semblent justifiées par le tableau suivant, qui résume la marche des dépenses publiques depuis la restauration jusqu’en 1886. On a mis, d’un côté, le service de la dette nationale, qui constitue une obligation d’honneur pour le pays, avec les dépenses de la guerre et de la marine, qui sont une question de sécurité, et, de l’autre côté, les dépenses des autres ministères, qui peuvent être considérées comme représentant les frais d’administration.