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plupart des doctrines qui devaient faire fortune au XVIIIe siècle étaient déjà nées, et nées en Angleterre; mais ce qu’il y a de remarquable, c’est que cette société regarda ce remède sans vouloir y toucher, et que, si quelques-uns y portèrent leurs lèvres, ils le rejetèrent aussitôt comme poison, préférant garder leur mal plutôt que de s’en délivrer par une guérison qu’ils estimaient mortelle à leurs âmes et ennemie de leurs plus chers intérêts temporels.

D’ordinaire, les superstitions s’attachent plus volontiers aux vieilles causes; mais, par un effet presque paradoxal de cette logique occulte qui fait se dérouler les événemens et qui est la plupart du temps si contraire à la superficielle logique de la raison, il en fut tout autrement en Angleterre. Si la révolution put s’y accomplir, le progrès des lumières n’y fut pour rien, ou il y fut pour si peu, que ce peu doit être tenu pour une quantité absolument négligeable, pour employer une expression en singulière faveur depuis quelques années. Il n’y avait pas de libres penseurs dans le camp de Cromwell, et si les pires erreurs politiques et sociales purent cependant y trouver des représentans, c’était ailleurs que dans la philosophie que ces erreurs prenaient leurs racines. Aucun grand mouvement intellectuel à la façon de notre XVIIIe siècle ne précéda et ne prépara le renversement du trône des Stuarts. Pour si glorieux qu’il soit, le courant de la littérature anglaise, depuis Elisabeth jusqu’à la mort de Charles Ier, n’a eu part que très indirectement aux événemens de l’époque; et, loin d’avoir exercé une influence sur les idées destinées à triompher, on peut dire qu’il leur fut plutôt hostile. Un seul nom littéraire très illustre se rattache à la grande rébellion, celui de Milton, mais a posteriori, lorsque la cause était déjà engagée et même gagnée. Voilà une révolution dont les ennemis n’auraient pu dire rien d’analogue au fameux « c’est la faute à Rousseau, c’est la faute à Voltaire, » que les ennemis de la révolution française ont répété si souvent. Ils n’auraient pu le dire pour une autre raison encore, c’est que, s’il y avait alors en Angleterre quelque chose de ce qui a fait l’esprit de Voltaire, et même de Rousseau, c’est-à-dire absence de préjugés et liberté d’esprit, c’était dans leur camp à eux, cavaliers, royalistes, fauteurs de despotisme, que ce quelque chose se trouvait et non dans le camp des révolutionnaires. Dans les rangs commandés par Newcastle et Rupert, on aurait certainement trouvé assez peu de soldats cherchant avec tremblement la voie du salut ; mais on en aurait encore moins trouvé de disposés à faire brûler des sorcières, ou à découvrir Satan sous la figure de quelqu’un de leurs frères d’armes. Rome est une terre de liberté, disait à M. Victor Cherbuliez le moine hiéronymite qui lui montra le masque du Tasse à Saint-Onuphre; sur