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bien logés, bien couchés, bien nettoyés et dans la liberté relative qu’autorise leur état. Un personnel de dix infirmières et infirmiers, conduit par une infirmière en chef qui me parait fort experte, en prend soin. Leur préau est un jardin garni de bancs où ils vont chauffer leurs infirmités au soleil et se traîner au grand air lorsque le temps le permet. Aux jours de temps maussade, ils se tiennent dans des galeries percées de larges haies par où pénètre la clarté, car on sait que ces vieilles plantes humaines contournées et biscornues ont besoin de lumière pour ne point tomber en langueur. Çà et là, sur les murailles, quelques champignons de bois font saillie : ce sont les pointe de repère à l’aide desquels les aveugles peuvent se guider.

La salle de bains est aménagée d’une façon presque luxueuse et munie d’appareils spéciaux, très bien combinés, dont l’usage est fréquent, pour ne pas dire incessant, car ils sont destinés aux infirmes, dont certaines fonctions s’exercent malgré eux et comme à leur insu ; la moitié au moins des pensionnaires est réduite à cette abjection ; il faut les surveiller de près et les changer de langes comme des enfans nouveau-nés. Les dortoirs sont vastes, avec un cube d’air suffisant et des lits sagement écartés les uns des autres ; il est rare que le repos y soit troublé, car l’hospice n’admet point les épileptiques, qui sont une cause d’accidens pour les autres comme pour eux-mêmes. Les plus ingambes de ces pauvres êtres sont logés au premier étage ; l’escalier est muni d’un « chemin » en sparterie qui permet d’éviter les chutes, précaution excellente que je voudrais voir appliquée dans toutes les divisions de ce groupe de constructions hospitalières, car les escaliers en bois de chêne, cirés, luisans, glissans, sont périlleux pour les malades, les incurables et les vieillards. Un moment attendu toujours avec impatience est celui des repas, qui se prennent dans un réfectoire lambrissé, muni de tables en marbre, outillé de vaisselle d’étain et que préside l’infirmière en chef, chargée de distribuer les portions. L’ordre est parfait et la propreté vraiment supérieure ; on dirait qu’à cet égard on y met une coquetterie qui ressemble à une protestation contre une opinion accréditée.

La paralysie, la cécité, la myélite, l’hémiplégie, l’arthrite persistante, ont envoyé là leurs victimes, au milieu desquelles on compte sept ou huit idiots dont la face hébétée rit et pleure sans motif ; les idiotes se dandinent avec des grâces de chien savant, les idiots sont plus refrognés. Les unes et les autres ne parlent guère ; ils grognent, ils geignent, ils gloussent, ils ont des mouvemens circulaires de la tête qui rappellent ceux des oiseaux de nuit. L’un de ces malheureux frappés d’imbécillité est accablé de rhumatismes ; il est barométrique : lorsqu’il se plaint, étire ses membres et se