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avoir entendu le jeune étudiant commenter un passage obscur du Coran, lui dit : « Quittez Vienne, où vous ne ferez que végéter, et allez à Paris, où toutes les portes vous seront ouvertes. » Albert Kohn suivit ce conseil, et, bien muni de lettres de recommandation, il arriva à Paris en 1836. Il entra facilement en relations avec Eugène Burnouf, Quatremère, Reinaud, A. Desgranges, Jouannin ; en leur compagnie, il était au cœur même de l’histoire et des langues orientales ; pendant une année entière, il fut l’unique auditeur du cours de persan professé par Sylvestre de Sacy. Plus tard, parlant de cette époque et de cet enseignement dont il était seul à profiter, il a dit : « J’ai passé là des heures délicieuses[1]. » Sa facilité, du reste, était extraordinaire ; il n’y avait guère, en son temps, que le cardinal Mezzofanti qui eût pu lui disputer le don des langues. Il était d’une ferveur exemplaire ; est-ce dans le Dieu ou dans la race d’Israël qu’il avait foi, je ne sais ; mais il aima son peuple d’une ardeur profonde ; partout où les juifs furent opprimés, il accourut, comme l’ambassadeur volontaire des revendications de la justice et de l’humanité. Dès que de nouvelles persécutions menaçaient le judaïsme, il partait : quatre fois il alla en Orient, apaisant les colères, éclairant les malentendus et rendant ses coreligionnaires à la paix douteuse qu’on leur accordait ; trois fois il les visita en Algérie, en Tunisie, au Maroc. Dans tous les pays d’oppression qu’il parcourut, il fut habile, pressant, et obtint, sinon des concessions, du moins des adoucissemens dont profita la communauté des synagogues. Au cours de ses voyages en Orient, dans toute ville possédant un quartier juif, il avait fondé des écoles ; jusqu’à son dernier jour, jusqu’au 15 mars 1877, rien ne ralentit son zèle, et « la Société parisienne d’encouragement au bien, » lui décernant une médaille d’or, peu de temps avant sa mort, put dire avec raison : « M. Albert Kohn est un missionnaire de charité. »

Ce rôle, enviable entre tous, il s’en était emparé dès son arrivée à Paris ; car, à peine installé, il s’était mis en quête de la situation des israélites pauvres ; promptement il comprit que pour les arracher à la misère et au vice, qui en est souvent la conséquence, il fallait, en redoublant d’efforts, faire appel aux cœurs généreux. Dès lors, sa voie fut tracée, d’où jamais il ne dévia, et dans la communauté juive il devint le conseiller de la bienfaisance. Quoique un peu brouillon et parfois trop empressé, il la conseilla bien, car c’est en grande partie à lui qu’elle doit son organisation, qui est très forte. Il eut cette bonne fortune d’être attiré par la

  1. J’ai emprunté la plupart des faits relatifs à l’influence exercée par Albert Kohn sur la communauté israélite à la Biographie d’Albert Kohn, par Isidore Loob, 1 vol. in-18. Paris, 1878 ; et pour la partie historique de cette étude, j’ai consulté avec fruit le Comité de bienfaisance, par Léon Kahn, 1 vol. in-18, Paris, 1886.