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un écrivain aux inspirations éloquentes, toujours prêt à opposer la forte et salutaire doctrine d’un spiritualisme réfléchi au matérialisme envahissant, aux systèmes spécieux ou chimériques, aux utopies ambitieuses des sectes contemporaines. Et c’est ainsi que M. Caro s’était fait une originalité de philosophe français, qu’il a répandue dans tous ces livres, l’Idée de Dieu, la Philosophie de Goethe, la Fin du XVIIIe siècle, les Études sur le temps présent, — dans toutes ces œuvres où, sous le voile d’un art supérieur et fin, se déguise la sûreté d’une pensée aussi ferme, aussi courageuse qu’élevée. M. Caro était un fils de son temps : il en aimait les idées généreuses et même les hardiesses ; il en combattait les erreurs et les entraînemens en esprit dévoué à toutes ces grandes causes de l’âme humaine, de la raison, des lois morales, de la civilisation. C’est l’inspiration dominante et vivifiante de cette carrière de professeur et d’écrivain.

Comme toutes les natures libéralement douées, M. Caro, il est vrai, aimait à se répandre, à chercher dans le monde un écho de sa pensée. Il alliait à l’assiduité dans les travaux les plus sévères le goût des sociétés brillantes, qui l’attiraient et le fêtaient. On le lui a reproché, comme si la science, pour être la science, devait absolument être ennuyeuse et sauvage. C’était tout simple : ce philosophe à l’autorité aimable et séduisante était fait pour plaire. Il ne sacrifiait au monde ni la dignité de ses fortes méditations, ni ses devoirs, ni l’indépendance de ses opinions. Il savait tout concilier, tout mener de front, et l’étude et le monde. Peut-être seulement avait-il fini par en souffrir dans sa santé. Il ne se l’avouait pas, on ne pouvait le penser, à le voir jusqu’à ces derniers temps si animé, si brillant d’esprit et de parole, si prompt à s’intéresser à tout et à oublier des crises qui semblaient passagères. Il croyait toujours à la vie, on y croyait pour lui, lorsque déjà il avait reçu l’atteinte invisible et irréparable. Il a été frappé dans l’éclat d’un talent encore plein de promesses, sur ce champ de bataille de la vie où les succès eux-mêmes sont quelquefois douloureux et ne compensent pas toutes les peines. M. Caro nous a été enlevé prématurément ; mais il est de ceux qui ne disparaissent pas tout entiers : il laisse, avec ses œuvres, le souvenir d’un maître d’élite, d’un écrivain qui a été l’honneur de la philosophie française et des lettres, un des plus brillans serviteurs des causes généreuses de la pensée, — qui reste un modèle d’urbanité gracieuse et de droiture dans les affaires de l’esprit.

Les affaires de la politique, pour leur part, restent passablement obscures en Europe, et la France n’a pas le privilège des difficultés. Elles entrent peut-être pour les autres pays, comme pour nous, dans cette trêve qui s’ouvre habituellement avec les vacances de la saison. Elles ne restent pas moins partout laborieuses et indécises. Elles ne se sont éclaircies depuis quelque temps ni en Orient, où les Bulgares sont toujours à la recherche d’un prince qu’ils croyaient avoir trouvé,