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Montesquieu, dit-il excellemment, ou sa méthode, si l’on veut, est celle des classiques. Comme à La Bruyère dans ses caractères, comme à Bourdaloue dans ses sermons, comme à Molière dans ses comédies, les réalités prochaines ou présentes ne lui servent que d’une occasion pour étudier en elles quelque chose de plus général et de plus permanent qu’elles-mêmes. Il est possible que Tartufe ait quelques traits de M de Roquette ; que la cour, en tremblant, reconnût le maître lui-même dans le fameux Sermon sur l’Impureté ; qu’on doive mettre des noms propres, ceux de Brancas ou de Lauzun, sous les portraits de La Bruyère ; mais La Bruyère, Bourdaloue et Molière se flattent bien d’y avoir aussi insinué quelques traits qui soient de tous les temps comme de tous les lieux ; et c’est même pour cela que leurs comédies, que leurs portraits et que leurs sermons survivent à tant d’autres. Montesquieu tout de même. Il a Rome et l’antiquité dans sa bibliothèque, il a la Turquie, la France et l’Angleterre sous les yeux ; mais il a aussi les Relations des voyageurs, il a la collection des Lettres édifiantes, il voit les lois se faire et se défaire, les institutions changer avec les mœurs ; et de tout cela il a bien la prétention de tirer des conséquences, d’induire des principes qui soient vrais de l’avenir comme du présent et comme du passé, de définir enfin des rapports fondés sur la a nature des choses, » et qui participent de sa nécessité. Cette interprétation de l’Esprit des lois, plus large, plus conforme aussi, je crois, à la pensée de l’auteur, ne détruit pas la première : elle la limite, comme nous disions ; mais en la limitant elle s’y ajoute ; et il n’est pas douteux qu’en s’y ajoutant, la confusion du livre s’en augmente.

En voici cependant une troisième ; et, d’après Vinet, qui se rencontre ici, par hasard, avec Auguste Comte, l’idée maîtresse de Montesquieu, l’objet propre de l’Esprit des lois, ce serait ce qu’ils appellent « l’histoire naturelle des lois. » Observateur désintéressé du spectacle des choses humaines, les phénomènes de l’histoire, aux yeux de Montesquieu, ne se distingueraient qu’en apparence de ceux de la nature, mais en réalité seraient soumis comme eux à des lois invariables. La détermination de ces lois, comme aussi celle des rapports qu’elles soutiennent entre elles, de leur corrélation et leur solidarité, de leurs connexions et de leurs dépendances, tel serait le but de l’ouvrage. Et, au fait, il l’a dit lui-même : « J’ai d’abord examiné les hommes, et j’ai cru que dans cette infinie diversité de lois et de mœurs, ils n’étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies. J’ai posé les principes, et j’ai vu les cas particuliers s’y plier comme d’eux-mêmes, les histoires de toutes les nations n’en être que les suites, et chaque loi particulière liée à une autre loi ou dépendre d’une autre plus générale. » On oublie seulement que, s’il