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le vouloir, elle avait humiliée à Dresde, cela ne pouvait lui convenir. N’étant plus la souveraine d’un colossal empire, elle voulait être la première dans un petit endroit, avoir une petite principauté, qu’elle régenterait à son aise, un de ces petits duchés, assortis à sa taille, où à défaut de grandes affaires les détails prennent de l’importance, et régler des détails était son plaisir. Bref, elle entendait devenir duchesse de Parme, de Plaisance et de Guastalla, et cette personne si douce, si débonnaire, montra cette fois une vigueur de résolution, une opiniâtreté qu’on n’attendait pas d’elle. On lui offrait Lucques ou une pension payée par la Toscane et des fiefs en Bohême. Ni son père ni M. de Metternich ne purent vaincre ses tenaces résistances. Elle se souciait peu de la principauté de Lucques, trop voisine de l’Ile d’Elbe, et la plus grosse pension du monde ne pouvait lui suffire, sa gouvernante lui ayant donné le goût de l’occupation. On lui imposa l’engagement de ne jamais écrire une ligne à son mari et de se séparer de son fils. Elle se consulta ; elle pouvait être heureuse sans voir son fils, elle ne pouvait l’être sans avoir Parme ; elle en passa par tout ce qu’on lui demandait.

Napoléon n’était plus rien pour elle, mais il était encore son mari. Cette chaîne lui pesait peu, elle n’était pas impatiente de convoler. Au contraire, elle pensait que le meilleur des mariages est une servitude, et on la verra en 1821, quand elle sera veuve, résister obstinément « à toute attaque que l’on pourrait vouloir faire contre sa liberté. » Mais elle pensait aussi qu’elle avait vingt-quatre ans, qu’à son âge on avait besoin de conseil. Elle voulait avoir un grand-maître, un factotum, et que ce factotum fût un homme aimable. Elle se promettait d’employer les grands moyens pour se l’attacher, de stimuler son zèle en ne lui refusant rien, quitte à régulariser plus tard cette situation équivoque par un mariage morganatique : un mari de la main gauche n’est pas gênant, une duchesse régnante ne voit en lui que le premier de ses sujets. Elle avait déjà fait son choix ; son futur grand-maître lui était apparu en Savoie, aux bains d’Aix ; on avait couru ensemble la Suisse et les glaciers. Plus âgé qu’elle de vingt ans, il avait perdu un œil à la guerre et cachait sa cicatrice sous un large bandeau noir. Ce borgne n’avait rien de séduisant ; mais il était aimable, homme d’esprit, bon musicien ; ayant de l’expérience et la pratique des affaires, il savait aussi faire sa cour et feindre la passion. Il s’appelait le général comte de Neipperg. Marie-Louise n’avait plus rien à désirer. A l’âge de onze ans, elle avait écrit à Mlle de Poutet : « J’ai pensé à toi aujourd’hui en voyant papa sur le trône, et cela m’a rappelé qu’une fois nous avons trouvé au blatien Haus un petit trône et que nous sommes montées dessus en jouant à la cachette. » Ce petit trône qu’elle avait entrevu dans son enfance, elle venait de le retrouver ; on l’autorisait à s’y asseoir, à y passer le reste de ses jours.